En Algérie, le mouvement du Hirak ne ralentit pas. Pour le gouvernement, c’est une apoplexie qui devient trop coûteuse à contrôler. Le président Tebboune a encore appelé au dialogue.
En Algérie, le mouvement socio-politique du Hirak continue d’attirer des sympathisants et de conquérir l’espace médiatique. Dernièrement, les pompiers, les agents municipaux et autres employés de l’Etat ont rejoint les manifestations. Cette nouvelle évolution aurait ébranlé les certitudes du gouvernement de pouvoir maintenir le statu quo.
C’est donc jeudi dernier, un jour après l’arrestation de Karim Tabbou, que la justice l’a libéré sous probation. Malgré les accusations graves dont il fait objet, dont l’atteinte à la sécurité de l’Etat, le pouvoir central commence à faire des concessions lorsqu’il s’agit d’emprisonner des opposants. En l’occurrence, Tabbou avait obtenu un sursis en mars pour sa critique de l’armée. Sa dernière arrestation est arrivée deux jours après qu’il a annoncé le boycott des élections.
Toutefois, l’opposition dénonce beaucoup d’irrégularités, concernant ces élections législatives de juin. L’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) avait fait une annonce qui a provoqué une nouvelle controverse. En effet, selon l’ANIE, parmi les 39 partis politiques inscrits aux élections, 20 ne rempliraient pas les conditions légales. Cela ne semble pas déranger les listes indépendantes, qui représentent une majorité des 1734 listes électorales recensées. Néanmoins, si l’ANIE interdit la participation de la moitié de la classe politique algérienne, et de la quasi-totalité des partis qui ont participé au Hirak, cela pourrait causer une escalade des manifestations. Le Hirak a été, jusque-là, un exemple de civilité, par choix.
Le feu couve
Pourquoi le Hirak est-il pacifique ? Seuls les Algériens connaissent la réponse, mais les hypothèses existent. Outre la tendance civile prédominante, le peuple algérien a connu des heures sombres dans le passé. C’est ce contexte qui a poussé l’Algérie à accepter le contrôle de l’armée durant 20 ans. La guerre civile, qui a duré dix ans entre l’armée algérienne (ANP) et le Front islamique du salut (FIS), a fait 154 000 morts. Conséquence : la peur du retour des partis islamistes envahit la culture politique algérienne.
C’est donc sur cette peur que le Haut conseil de sécurité (HCS) algérien a joué pour surplomber les trois pouvoirs de l’Etat depuis 2002. Seulement voilà, depuis le début du Hirak en 2019, l’armée n’utilise plus ce pouvoir uniquement pour sécuriser le pays. Les Algériens qui ont une ambition politique se trouvent donc coincés entre le marteau et l’enclume.
Les groupes indépendantistes, comme le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), ont été les plus touchés. Le ministère de la Défense nationale (MDN) les a accusés de terrorisme fin avril. Ce n’est donc qu’une question de temps avant que le MAK ne devienne le nouveau souffre-douleur de l’armée.
Le gouvernement, lui, est plus antagoniste au Mouvement pour la société de la paix (MSP). Le parti d’Abderrazak Makri est le mouvement politique islamiste le plus populaire en Algérie actuellement. Et même s’il participe au Hirak, il s’oppose ouvertement au MAK. Cette dynamique crée une rivalité entre les alliances du gouvernement et de l’armée, ainsi que le débat au sein du Hirak.
Les élections ad portas
En effet, alors que les partis politiques « classiques » se disputent la représentation du Hirak, les acteurs plus influents sont en marge des manifestations. Le président Abdelmadjid Tebboune serait en guerre ouverte avec le MSP et l’armée chercherait à réprimer le MAK. Or, l’adversité à laquelle fait face le gouvernement n’est pas politique, mais sociale. Un fait que le pouvoir algérien semble omettre.
Néanmoins, les élections législatives auront lieu le 12 juin, avec ou sans l’opposition radicale. D’ici-là, le gouvernement et l’armée cherchent à sécuriser le plus de support possible auprès des Kabyles et des islamistes. Donc, si l’ANIE empêche l’une des ces deux parties de participer aux élections, elle devra en empêcher l’autre aussi. Cependant, sans l’un ou l’autre, Tebboune et le HCS seront de facto seuls contre tous, et probablement opposés par la force des choses. L’interdépendance de l’armée et du gouvernement est exactement la même depuis 2002, mais elle ne pourrait continuer si le parlement est indépendant.
Enfin, aucun scrutin ne serait accepté tel quel en Algérie, surtout depuis que le Hirak a captivé l’attention de la communauté internationale. Il serait juste de présumer que peu importe l’essor des législatives de juin, la contestation populaire ne prendra pas fin. Pour rappel, la majorité parlementaire actuelle n’est pas représentative du Hirak. Plus de 40 % des sièges parlementaires sont actuellement occupés par le FLN et le RND, respectivement de centre-gauche et de centre-droit. Ce serait donc l’entrée en lice des partis radicaux participant au Hirak qui apaiserait la rue, et non la continuité du monopole actuel. Après tout, les manifestants réclament un changement, et leurs propres représentants pour l’opérer de l’intérieur.