En Tunisie, le transport ferroviaire de phosphates a repris vendredi. La Compagnie des phosphates de Gafsa peut-elle être sauvée, comme le souhaite le président tunisien Kaïs Saïed ?
C’était l’un des dossiers chauds de la présidence tunisienne. L’ancien fleuron de l’industrie nationale, la Compagnie des phosphates de Gafsa, a perdu au fil des ans de son lustre d’antan. Jusqu’à, après une dizaine d’années, connaître une crise sans précédent et s’écrouler sous le poids des nombreux mouvements sociaux. Un drame, autant économique que social. Car avec 30 000 employés — contre 8 000 en 2010, la CPG nourrit de nombreux foyers dans la région de Gafsa. Mais le secteur tunisien du phosphate a largement perdu de sa superbe : alors qu’il représentait 4 % du PIB tunisien, le phosphate a connu un arrêt brutal. De plus de 8 millions de tonnes produites en 2011, la CPG tourne à une moyenne de 3 millions de tonnes annuelles en ce moment. La faute à une gestion catastrophique de l’Etat…
Les grèves ont longtemps paralysé, ces dernières années, les sites de la CPG. Avec 21 000 embauches depuis 2011, le gouvernement post-révolution a voulu acheter la paix sociale, qui s’est rapidement transformée en bataille entre syndicats et Etat. Selon une enquête publiée par Reuters en 2018, sur 14 000 jours de production possibles dans ses cinq mines, entre 2011 et 2018, les employés n’avaient travaillé que 4 500 jours. En 2020, la Tunisie avait même dû importer du phosphate d’Algérie. Une première, et surtout un comble, pour un pays qui dispose de ressources largement suffisantes en termes de phosphates.
Une redistribution des bénéfices inéquitable ?
Après avoir pris les pleins pouvoirs ces derniers jours, le président tunisien Kaïs Saïed a rapidement indiqué vouloir s’attaquer au dossier du phosphate. Un travail de titan : jamais un gouvernement depuis 2011 n’a réussi à régler le problème. Ce lundi 2 aout, Kaïs Saïed s’est félicité de la reprise du transport du phosphate, par chemin de fer, à partir de vendredi dernier. Mais pour le chef de l’Etat, les problèmes de la CPG et de tout le secteur sont principalement dus à la corruption. Saïed a promis des sanctions contre ces personnes derrière le blocage de la production de phosphate. Un député aurait d’ailleurs déjà été placé en détention dans ce dossier.
Mais ce que semble occulter Kaïs Saïed, c’est que la corruption n’est pas le seul problème à l’origine des blocages. Les populations de la région de Gafsa jugent en effet inéquitable la redistribution des bénéfices engendrés par le phosphate. Avec un taux de chômage dépassant les 25 %, Gafsa demande plus d’emplois et d’infrastructures. La CPG et l’Etat sont pointés du doigt pour avoir recruté des candidats dans d’autres gouvernorats. Et alors que l’entreprise étatique choyait autrefois ses populations, en termes de santé, d’éducation et de transports, les habitants sentent aujourd’hui la manne financière du phosphate leur échapper. La CPG n’investit plus dans les infrastructures régionales. Un coup dur pour les populations de Gafsa, qui ne récoltent désormais plus qu’une terrible pollution.
Après une longue fuite en avant de l’exécutif, Kaïs Saïed espère bien une relance de la CPG sur la durée. Il devra, pour se faire, entamer des discussions avec l’UGTT, la principale centrale syndicale du pays. Il devra aussi avoir une vision plus large que la simple poursuite des activités de la CPG : l’agriculture et le tourisme vert, deux secteurs sur lesquels voulait miser le gouvernement fin 2020, sont les principales victimes de la pollution du phosphate. Le futur gouvernement devra, s’il veut régler ce dossier, régler en parallèle la situation environnementale et la grogne sociale. Reste également à savoir si une privatisation sera, à un moment, envisagée par l’Etat qui semble se réveiller et découvrir que ses ex-fleurons, de la CPG à Tunisair, lui ont causé plus de torts que d’avantages depuis 2011.