Après sa tentative avortée de prendre la capitale libyenne Tripoli par la force, mardi dernier, le Premier ministre Fathi Bachagha semble avoir perdu plusieurs soutiens internationaux. De son côté, Abdel Hamid Dbeibah consolide sa position.
Samedi dernier à Abou Dabi, les responsables libyens sont arrivés aux Emirats arabes unis (EAU) afin de transmettre leurs condoléances au nouvel Emir de la ville et président du pays, Mohammed ben Zayed Al Nahyane (MBZ), après la mort de son frère le 13 mai.
Le trône émirati, et MBZ en particulier, soutiennent ouvertement les dirigeants de l’Est en Libye. A savoir le chef de l’ANL, Khalifa Haftar, le parlementaire Aguila Salah, et leur Premier ministre désigné Fathi Bachagha. Ce dernier avait, mardi dernier, essayé de renverser son prédécesseur Abdel Hamid Dbeibah, en tentant de prendre Tripoli par les armes.
Coup sur coup donc, samedi dernier, MBZ a rencontré Dbeibah, puis Khalifa Haftar. Une visite de Fathi Bachagha n’était pas prévue. Mais alors que le Premier ministre de l’Est tente depuis des semaines de mettre la main sur les fonds émiratis de Khalifa Haftar, son absence en dit long. La présence de Haftar, pour sa part « était peu signifiante », selon le spécialiste en Libye Jalel Harchaoui, qui estime que les EAU n’ont plus envie de s’investir dans la crise libyenne depuis l’échec de Haftar dans la dernière guerre civile.
Off the cuff on UAE’s diplomatic move:
• the format #MbZ chose boosts #Dabaiba & erases #Bashagha;
• #Haftar having shown up means little. Back in 2019, UAE had a bunch of lethal flying things mobilized in Libya, on Haftar’s side. But not anymore.
Today, another nation does. https://t.co/KkuEfKrY4R
— Jalel Harchaoui (@JMJalel_H) May 21, 2022
Bachagha et Dbeibah, deux salles, deux ambiances
La rencontre entre Dbeibah et MBZ, à elle seule, représente un développement intéressant. Malgré la solennité et le caractère apolitique du voyage émirati de Dbeibah, il n’en reste pas moins un évènement très inattendu.
Bachagha, pour sa part, panse encore ses plaies après sa « guerre d’un matin ». Il s’est installé depuis à Syrte. Il y avait été conduit, selon des sources du journal de l’Afrique, sur ordre du chef de la brigade 444, Mahmoud Hamza. C’est d’ailleurs l’intervention de ce dernier qui avait repoussé la brigade Nawasi, à l’origine des affrontements de mardi dernier.
Il semblerait donc que Bachagha soit, pour l’instant, confiné à Syrte. Il se retrouve donc éloigné à la fois du siège de pouvoir de Haftar à Benghazi, celui de Salah à Tobrouk, mais aussi de son propre chef-lieu de Misrata, sa ville d’origine et celle de Dbeibah également.
Abdel Hamid Dbeibah a profité de la semaine passée, avant son voyage aux Emirats, pour augmenter les salaires des forces armées et ceux des employés du ministère l’Education, professeurs et travailleurs compris. Il prévoit aussi un voyage à New York, où il rencontrera le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres.
Bachagha ou comment perdre des alliés
Avant sa tentative ratée de prendre le pouvoir par la force, Bachagha était en difficulté avec l’un de ses premiers alliés : le Royaume-Uni. Le mois dernier, dans une tribune de presse publiée dans le journal londonien Times, signée par Bachagha, ce dernier appelait le Royaume-Uni à le soutenir contre « un gouvernement illégitime », afin qu’il puisse tenir une promesse en particulier : celle de « renvoyer les mercenaires de Wagner chez eux ». « Un groupe militaire privé proche de Vladimir Poutine qui a semé la destruction en Libye dans ses sillons », surenchérit Bachagha, qui se dit aussi « horrifié par l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine ».
Un article de presse que Bachagha affirme être inauthentique, avant que le journal britannique ne révèle les détails des communications avec l’équipe de communication de Fathi Bachagha. L’ambassadrice du Royaume-Uni en Libye, Caroline Hurndall, a « insisté sur le besoin de toutes les parties de s’abstenir de la violence et de la provocation », mais a également refusé explicitement de transférer le contrôle des fonds libyens bloqués par son pays au gouvernement nommé par Bachagha. « Bien que nous n’ayons pas discuté du rôle des institutions financières libyennes (la Banque centrale, ndlr) dans notre appel. Il est sans équivoque que la neutralité de ces dernières doit être maintenue au profit du peuple libyen », a tweeté Hurndall.
1/2 I spoke to @fathi_bashagha today. I stressed the need for all sides to refrain from violence and provocation. It’s critical that all parties engage constructively in dialogue towards a process that benefits all Libyans.
— Caroline Hurndall (@CaroHurndall) May 19, 2022
Sur le front diplomatique, tout semble aller dans le sens de Dbeibah
Un coup dur, donc, pour Fathi Bachagha qui a, la même semaine, perdu le soutien des Emirats et celui du Royaume-Uni. Il a aussi fermé la porte à tout rapprochement avec Moscou. Et, surtout, Fathi Bachagha est passé de l’attaque à la défense, bloqué à Syrte. Une ville très symbolique pour les Libyens, ville natale de Mouammar Kadhafi, mais aussi son dernier retranchement lors de l’offensive des rebelles qui a eu raison de sa vie.
Et Fathi Bachagha n’est pas au bout de ses peines. Entre Ankara, Alger, Tripoli et Le Caire, tout semble aller dans le sens de son rival, le Premier ministre en poste Abdel Hamid Dbeibah.
En effet, les pourparlers du Caire, soutenus par l’ONU, ont pris une drôle de tournure. Les parlementaires et diplomates ne discutent plus de la « manière pacifique d’imposer un gouvernement plus légitime », mais plutôt des échéances des élections. La diplomatie égyptienne, pour sa part, a botté en touche depuis l’attaque ratée de Bachagha sur Tripoli.
Mais c’est surtout depuis l’Algérie et la Turquie que le soutien de Dbeibah est de plus en plus clair. Tripoli accueillera fin mai l’exposé « Made in Algeria », où plusieurs hommes d’affaires et ministres algériens finaliseront de nouveaux contrats et accords avec le gouvernement de Dbeibah. En l’occurrence, le nouvel accord énergétique entre la Gecol libyenne et son Sonelgaz, l’entreprise nationale d’électricité algérienne. Mais aussi l’accord gazier entre Sonatrach et la National Oil company (NOC) libyenne.
Quant à la Turquie, elle a signé ce lundi un accord de vente de bombardiers Hürkuş-C avec le général libyen Mouhamad Gojil, chef de l’armée de l’air libyenne, loyale à Tripoli et au gouvernement Dbeibah.