Le 10 mai 2001, un texte proposé par la députée française Christiane Taubira reconnaissait l’esclavage et la traite comme des crimes contre l’humanité. Vingt ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ?
« Nous sommes ici pour dire ce que sont la traite et l’esclavage, pour rappeler que le siècle des Lumières a été marqué par une révolte contre la domination de l’Eglise, par la revendication des droits de l’homme, par une forte demande de démocratie, mais pour rappeler aussi que, pendant cette période, l’économie de plantation a été si florissante que le commerce triangulaire a connu son rythme maximal entre 1783 et 1791 ». Le 23 mai 1998, à l’occasion du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, Christian Taubira participe à une marche silencieuse à Paris.
Trois ans plus tard, la députée guyanaise entrera dans l’histoire en faisant voter une loi, qui porte son nom, qui reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Une loi mémorielle qui est célébrée ce lundi 10 mai 2021 par Emmanuel Macron, à l’occasion de la Journée de mémoires de la traite. Depuis le vote du texte, les programmes scolaires ont laissé à la traite négrière et l’esclavage une « place conséquente ». Une fondation pour la mémoire de l’esclavage et un mémorial ont vu le jour, respectivement à Paris et à Pointe-à-Pitre.
En 1642, Louis XIII décide d’autoriser la traite des Noirs. Il faudra attendre le 28 septembre 1792 pour que la Constituante abolisse l’esclavage en France. Mais les colonies françaises d’Outre-Mer, elles, ne sont pas concernées. Il faudra attendre 1832 pour que la France accorde aux mulâtres et aux Noirs libres l’égalité civile et politique. Depuis, la réparation politique et mémorielle a avancé, grâce à la loi Taubira notamment.
La difficile question de la réparation
Mais quelques freins subsistent toujours. Aujourd’hui, la réparation financière des victimes de l’esclavage au point mort. Il y a quelques années, Christiane Taubira estime que la réparation était un des enjeux de sa loi. « La question de la réparation a été posée dès les années 1680, disait-elle. A l’abolition, en 1794, il n’y a pas de discussions sur la réparation. En 1848, la question se pose de nouveau. Mais le lobby des planteurs est très puissant, impose le sujet de l’indemnisation des propriétaires d’esclaves. La logique capitaliste de l’époque prévaut et c’est cette tendance qui l’emporte sur celle de la réparation ».
« Ce débat est interminable parce que le crime en soi est irréparable, que personne ne peut ramener les vies perdues ni rembourser les générations de travail gratuit », résume Christiane Taubira. L’ancienne ministre de la Justice. « Il n’y a pas de réparation possible pour quelque chose d’irréparable et qui n’est pas quantifiable », résumait de son côté le poète Aimé Césaire. Mais vingt ans après l’adoption de la loi Taubira, il convient de continuer le combat.
La France aurait déporté officiellement plus de 1,5 million d’Africains, arrivés vivants, depuis les ports de l’Hexagone — La Rochelle, Nantes ou encore Le Havre. On dénombrerait 7,5 millions de morts. A l’époque de la traite, tous les ports français de commerce, à l’exception des ports de guerre que sont celui de Brest et de Toulon, ont participé à la traite. Des chiffres qui prennent en compte les expéditions officielles, mais de nombreux voyages clandestins ont également été effectués, montrant que ces statistiques sont certainement largement sous-évaluées.