Trois des fronts internationaux qui interviennent en Libye se concertent aujourd’hui. Alors que le second sommet de Berlin sur la Libye commence ce mercredi, Saïd Chengriha est en visite de travail à Moscou depuis deux jours, et Denis Sassou N’Guesso cherche à concrétiser une intervention diplomatique préventive.
Une paix fragile entoure le dossier libyen depuis plusieurs mois. Toutefois, les tensions couvent dans l’Est comme dans l’Ouest du pays. Le triumvirat de la présidence et le Premier ministre Dbeibah ont annoncé, dimanche, la réouverture de l’autoroute côtière. La ministre des Affaires Etrangères Najla al-Mangoush présentera une initiative « pour unifier l’armée » lors de la conférence de « Berlin II », tenue aujourd’hui.
Pendant ce temps, le chef d’état-major algérien, Saïd Chengriha, est en visite officielle à Moscou depuis lundi. Rappelons que la Russie s’est engagée aux côtés du maréchal Khalifa Haftar, le commandant des forces de l’Est. Cette visite du chef de l’armée algérienne concerne, sans doute, les tensions aux frontières algériennes. En effet, Haftar a installé une « zone militaire fermée » au point de passage Aysin, entre l’Algérie et la Libye. Or, l’Algérie est le premier allié de la Russie en Afrique du Nord. Ainsi donc, le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou a invité Chengriha, afin d’opérer une médiation conventionnelle entre Haftar et l’Algérie.
Sur un troisième front, le président du Congo-Brazzaville et du Comité de l’Union africaine (UA) sur la Libye a initié ses propres pourparlers. Le président Denis Sassou N’Guesso a rencontré le leader politico-religieux ibadite Farhat Jaâbiri, afin de discuter de la situation en Libye. L’UA a été longtemps marginalisée des discussions sur la Libye. Et Sassou N’Guesso sait pertinemment que le statu quo actuel est très fragile. Il avait d’ailleurs condamné « toutes les ingérences extérieures » en Libye.
L’Occident, la Russie et la Turquie, une paix fragile
Trois partie essayent donc de stabiliser la situation politique en Libye. L’Occident, qui entretient de bonnes relations avec les forces de la Tripolitaine, est intervenu plusieurs fois pendant ces derniers mois, à travers la MANUL et l’émissaire de l’ONU Ján Kubiš. Le groupe du premier Sommet de Berlin a réussi à fluidifier les relations entre le gouvernement de Dbeibah (GNU) et Haftar.
Néanmoins, l’ONU, les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) exercent une pression diplomatique vers un désengagement des paramilitaires russes de Wagner. Ces derniers sont représentés par 24 000 soldats dans l’Est, qui appuient les revendications de Haftar. Ils se sont d’ailleurs confrontés aux troupes européennes et turques lors de l’offensive de Haftar sur Tripoli en 2019.
Les pourparlers de 2020 entre la Turquie et la Russie ont désamorcé cette situation. Cependant, il ne s’agit pas d’une solution définitive. La paix actuelle est conditionnée par la feuille de route du gouvernement. Une élection présidentielle doit avoir lieu le 24 décembre 2021. Toutefois, à l’approche de l’élection, son organisation, ainsi que ses protagonistes, font l’objet d’un débat de plus en plus houleux.
On the eve of #Berlin2Libya, Deputy Foreign Minister Amb.Sedat Önal met separately with Russian Deputy Foreign Minister Sergey Vershinin, US Special Representative on Libya Amb.Richard Norland, US Amb. to Turkey David Satterfield and discussed the preparations for the Conference. pic.twitter.com/sZt5CgdqYg
— Turkish MFA (@MFATurkey) June 22, 2021
Denis Sassou N’Guesso cherche une solution africaine, pour la Libye et l’Afrique du Nord
Craignant que l’élan politique ne menace la paix actuelle, trois parties africaines se sont mobilisées dernièrement. D’un côté, le Maroc a accueilli les vétérans d’Odyssey Dawn, l’opération américaine en Libye en 2011, ainsi qu’un total de 7000 soldats de l’OTAN. Des exercices militaires ont eu lieu sous le commandement de l’Africom. A première vue, ces exercices étaient destinés à préparer l’armée marocaine à sa « dernière offensive » au Sahara occidental. Toutefois, des vidéos montrent que des centaines d’officiers italiens, britanniques et tunisiens ont participé aux exercices. Ce qui porterait à croire que la préparation soit plus destinée, pour l’OTAN en tout cas, à un contexte régional qu’à un conflit local.
L’Algérie a du juguler les répercussions des déclarations du président Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier avait déclaré que l’armée algérienne était « prête à intervenir en Libye » lors de la guerre de Tripoli. Une annonce qui a provoqué Haftar, qui a réagi en positionnant ses troupes sur la frontière algérienne. La Russie œuvre donc afin de calmer les tensions entre la maréchal libyen et l’armée algérienne.
La troisième partie, représentée par le Comité de l’UA sur la Libye, présidée par le président congolais Denis Sassou N’Guesso, cherche à éviter que ces tiraillements ne menacent la sécurité des Libyens. Le président congolais a donc invité un allié au potentiel diplomatique puissant, le cheikh Jaâbiri, imam de la communauté ibadite aficaine. Cet émissaire s’est concerté avec le représentant de l’UA sur le dossier libyen. Les détails sur leurs échanges sont sujet à beaucoup de spéculations. Toutefois, les Ibadites représentent souvent un levier de paix dans la région désertique entre le Sud libyen et algérien. Une intervention diplomatique conventionnelle serait-elle la solution pour un vrai accord entre Tripoli et Benghazi ? Le déroulement du Sommet de Berlin en dira sûrement plus.
CHEIKH FARHAT JAABIRI, l'une des références de la communauté Ibadite, est venu ce 20 juin 2021, traduire au chef de l'Etat Denis Sassou N'Guesso, président du comité de haut niveau de l'UA sur la Libye, le soutien de la communauté Ibadite, dans son action dans le conflit libyen. pic.twitter.com/xnpsggbfNs
— Présidence de la République (@PR_Congo) June 20, 2021