Le président guinéen semble avoir lâché du lest contre l’opposition. Mais il a en réalité mis en place un chantage qui lui permet de faire taire les opposants.
Opération excuses publiques contre grâce présidentielle. Voici la nouvelle idée du président guinéen Alpha Condé, lui-même ancien opposant politique, qui n’a rien trouvé de mieux à faire que d’exiger des excuses publiques de la part de ses adversaires en échange d’un geste d’apaisement. A première vue, la décision du chef de l’Etat guinéen, réélu dans des conditions dramatiques en octobre 2020 — avec une répression sanglante et des dizaines de morts. Opprimé devenu oppresseur, Alpha Condé tente désormais de faire bonne figure, comme lorsqu’il a offert une remise de peine à deux de ses opposants le 22 juin dernier, le coordinateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) aux Etats-Unis, Souleymane Condé, et son ami Youssouf Dioubaté. Quatre jours plus tôt, il avait gracié des militants condamnés pour « tentative d’assassinat ».
Comme eux, Mamady Condé, un proche du parti de Cellou Dalein Diallo, a vu sa peine réduite après avoir été condamné à cinq années de prison pour avoir protesté contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Un geste de clémence de la part du président de Guinée ? Oui, mais il a fallu, pour en arriver là, que les opposants mettent leur dignité et leurs convictions de côté pour espérer ne pas finir leurs jours en prison.
En effet, Alpha Condé a trouvé un moyen de faire taire une bonne partie de l’opposition en exigeant des excuses publiques de ses rivaux : Souleymane Condé et Youssouf Dioubaté ont estimé que leurs actes n’étaient que des « erreurs de jeunesse » et ont assuré qu’ils se tiendraient à carreau… avant d’obtenir une grâce présidentielle. De son côté, Boubacar Diallo a demandé officiellement une remise de peine en se lançant dans une opération anti-UFDG, le parti de Cellou Dalein Diallo. Nul doute que pour être libéré, Diallo a dû passer un accord avec le régime Condé.
Un seul détenu refuse de s’excuser, il reste en prison
Et du statut de dictateur sanguinaire à celui de président indulgent, il n’y a qu’un pas, qu’Alpha Condé a franchi grâce à cette échange en bonne et due forme entre excuses et remises de peine. Désormais, comme dans Jeune Afrique, certains louent la bonne foi du président. « Il n’y a pas plus indulgent qu’Alpha Condé. On a demandé pardon au président de la République, il nous a entendus. Vous verrez qu’il graciera tous les détenus politiques », ose Kader Yomba Condé, frère de Mamady Condé, qui a été libéré grâce à sa famille qui a joué sur la corde sensible : le père Condé était en effet un opposant de Lansana Conté, et Alpha Condé a été prié de s’en souvenir.
En dénonçant ses « excès de communication sur les réseaux sociaux », le frère de Mamady Condé a donc réussi à faire libérer ce dernier. Il ridiculise, par la même occasion, le combat politique d’un frère qui devra donc se ranger pour éviter à nouveau la case prison.
Outre les remises de peine, Alpha Condé a mis fin à l’exil de plusieurs ennemis de toujours, comme Souleymane Bah, l’ex-conseiller en communication de Cellou Dalein Diallo. Là encore, à défaut d’excuses, Bah a dû faire une promesse : ne plus faire de politique. Autrement dit, laisser Alpha Condé libre de ses mouvements.
Mais comment Alpha Condé a-t-il convaincu autant d’opposants de, au mieux, s’excuser, et au pire se taire ? Le chantage de longues années de prison s’ils ne s’excusaient pas a pesé dans la balance. Et seul Oumar Sylla, leader du mouvement FNDC, a refusé d’accéder à la demande d’Alpha Condé. Il restera donc en prison. L’apaisement voulu par Alpha Condé n’est donc que de la poudre aux yeux : il s’agit, pour le président guinéen, d’annihiler toute opposition et de vivre un mandat calme. D’autant qu’en graciant des détenus politiques, Alpha Condé fait croire à la communauté internationale qu’il n’est pas si autoritaire que cela.