Mohammed Chergui Darif, doctorant en science de Gestion à l’université d’Aix-Marseille, décrypte la gestion publique des inondations par les autorités marocaines.
Crises, risques et incertitudes sont les mots qui caractérisent le contexte mondial actuel. Nos villes et territoires font face à une multitude de défis sociaux, environnementaux, économiques, sanitaires et naturels. Ces défis et crises, dans la majorité des cas, paraissent difficilement prévisibles. Les pouvoirs publics locaux doivent donc trouver des solutions en urgence, tout en élaborant une stratégie de résilience territoriale performante.
Nous considérons un territoire comme résilient lorsqu’il est capable d’anticiper des perturbations, des crises et des risques par la mise en place d’une veille ; d’en atténuer les effets ; de revenir, après l’événement à un état de fonctionnement satisfaisant, par l’apprentissage, l’adaptation et l’innovation ; et, finalement, de muter vers un nouvel état tout en préservant ses fonctionnalités.
Quel impact les catastrophes naturelles et, en particulier, les inondations – qui représentent 34 % des catastrophes naturelles survenant dans le monde et ont affecté 339 millions de personnes entre 1900 et 1980, ont-elles sur les territoires ? Le cas des territoires marocains offre des pistes de réponse.
Des inondations récurrentes
Le Maroc n’est pas épargné par ces phénomènes. La récurrence des inondations affecte la capacité des territoires à se développer. D’après une étude de l’OCDE, le pays a enregistré 35 inondations sur une période de 60 ans.
En outre, durant les trois dernières années, plusieurs villes ont été inondées après avoir connu des épisodes de précipitations majeures qui ont causé d’importants dégâts matériels et humains, dont le coût est estimé à 2,25 milliards de dirhams (équivalent à 2,25 millions d’euros).
Citons par exemple, Taroudannt en 2019 (7 morts) ; Tanger en 2021 (24 morts) ; Casablanca en 2021 (1 mort) ; ou encore Tétouan en 2021. Ces inondations récurrentes sont principalement dues à la vétusté des infrastructures d’assainissement des villes, ainsi qu’à un mauvais suivi des risques liés au changement climatique.
Objectifs stratégiques et résilience territoriale
Les villes du Maroc, dans le cadre de la stratégie nationale de la Régionalisation avancée, poursuivent des objectifs ambitieux. C’est le cas des régions de Casablanca-Settat et de Tanger-Tetouane-Al Hoceima, considérées comme les locomotives du développement du pays. La région casablancaise ambitionne de devenir une métropole intelligente et le premier hub financier en Afrique, tandis que la région de Tanger aspire à s’imposer comme une destination incontournable du tourisme d’affaires et domestique. Entre cet avenir souhaité et la dangerosité inhérente due à la fréquence des inondations, la capacité de résilience de ces territoires interroge.
Le ministère de l’Aménagement du territoire national et de la politique de la ville a mis en place un plan d’action national sur la résilience territoriale. Ce plan a pour ambition de prévoir et d’atténuer les risques auxquels les territoires sont confrontés. Il vise aussi à en réaliser une évaluation globale. L’évocation d’un tel plan national nous renvoie à la manière dont ce dernier se décline au niveau des collectivités territoriales. Comment la résilience est-elle prise en compte au niveau des régions et communes locales ? Quels sont les limites et enjeux confrontant la mise en place d’une stratégie locale de résilience, impliquant l’ensemble des acteurs du territoire ?
Les stratégies territoriales de résilience
Comme évoqué précédemment, les territoires et les villes sont exposés de manière avérée et persistante à une dangerosité inhérente. Celle-ci peut être aléatoire, cyclique ou permanente. La gestion publique ne peut ignorer la menace que constituent ces crises inhérentes pour atteindre les objectifs poursuivis.
Devant une situation où la dangerosité est permanente, il existe des stratégies territoriales de résilience que les pouvoirs publics locaux peuvent adopter : la stratégie de retrait qui consiste à quitter le territoire de manière temporaire ou définitive ; la stratégie d’adaptation qui réalise des ajustements fins en ciblant les sources de problèmes tout en maintenant un fonctionnement du système ; ou encore la stratégie d’adaptation génétique qui renvoie à une transformation profonde du système.
Recommandations et pistes de réflexion
Au vu des constats qui précèdent, il est possible d’établir quelques recommandations et pistes de réflexion afin d’améliorer la résilience territoriale.
Doter le territoire de technologies servant à collecter des données et à fournir des alertes précoces et fiables, à l’image de ce qui se fait à Helsinki. La capitale finlandaise a développé une technologie visant à étudier la résilience face aux inondations. Cette technologie est capable d’analyser la pluviométrie et d’anticiper les inondations en identifiant les zones vulnérables de la ville.
Les pouvoirs publics des territoires doivent développer des stratégies locales de résilience en optant pour une approche de concertation impliquant l’ensemble des acteurs du territoire (élus locaux, communes locales, ministères, entreprises de gestion des eaux de la ville, société civile).
Sensibiliser les citoyens par la diffusion d’une culture du risque en amont et aussi au moment de la crise. Par exemple, inclure des formations à l’école sur le secourisme mais aussi sur les meilleures façons de réduire les risques liés aux catastrophes naturelles et, notamment, aux inondations.
Il nous semble donc nécessaire de réaliser une recherche empirique, en collaboration avec les élus locaux, sur ces limites et enjeux. Cette recherche permettrait de mieux comprendre, et de lever, les entraves à la mise en place de stratégies territoriales de résilience locale permanente.
En conclusion, nous estimons que l’élaboration des stratégies territoriales de résilience implique la prise en considération des spécificités de chaque territoire. Pour les pouvoirs locaux, cela implique de se doter d’une gouvernance territoriale impliquant tous les acteurs locaux. Au-delà du traitement ciblé de dangers spécifiques, cela constitue un atout et un avantage durable : un levier pour développer la capacité de résilience et, aussi, pour atteindre les objectifs poursuivis…
Mohammed Chergui Darif, Doctorant contractuel en science de Gestion : Management Public / Institut de Management Public et Gouvernance Territoriale / CERGAM / Aix-Marseille Université /, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.