Les pays de la région sont engagés dans une lutte géopolitique pour l’influence et la survie. Entre Kigali et Kinshasa, la tension est à son maximum…
Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), les troupes sud-africaines, burundaises et tanzaniennes se battent contre l’armée rwandaise, qui s’est déployée pour soutenir la rébellion du Mouvement du 23 mars, ou M23.
Des soldats de l’Afrique du Sud et du Burundi, ainsi que de la mission de maintien de la paix des Nations unies, ont récemment été tués. Les civils pris au piège des tirs croisés, ont fui : sept millions de Congolais sont aujourd’hui déplacés en raison de cette crise et de multiples autres crises en RDC.
Les diplomates sont préoccupés : le conflit dans l’est de la RDC a fait l’objet d’une réunion spéciale au Conseil de sécurité des Nations unies le 20 février 2024 et d’un mini-sommet en marge de la réunion annuelle des chefs d’État de l’Union africaine le 16 février.
Le Rwanda, qui a nié soutenir le M23, affirme que le groupe rebelle rwandais – Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) – qui comprend des combattants ayant participé au génocide de 1994, a été pleinement intégré dans l’armée congolaise. Elle affirme également que le gouvernement congolais est engagé dans des “opérations de combat massives” visant à expulser les civils tutsis congolais.
Le gouvernement congolais a mené une campagne contre le Rwanda. En décembre, alors qu’il faisait campagne pour sa réélection, le président Félix Tshisekedi a comparé son homologue rwandais à Adolf Hitler et l’a accusé de visées expansionnistes.
En janvier, le président burundais Évariste Ndayishimiye a fermé sa frontière avec le Rwanda et accusé le pays de soutenir les rebelles contre lui. Il s’est abstenu de réclamer l’éviction de Kagame.
Nous travaillons sur le conflit en République démocratique du Congo depuis une vingtaine d’années. Cette vague de violence ressemble aux précédentes, mais elle est aussi différente. À l’origine du conflit du M23, on trouve des pays comme le Rwanda et l’Ouganda, désireux de projeter leur puissance et leur influence dans l’est de la RDC, alors que le gouvernement congolais semble incapable, et souvent peu désireux, de stabiliser son propre territoire. Les donateurs et les forces de maintien de la paix des Nations unies fournissent une aide humanitaire, mais ne font pas grand-chose pour changer cette dynamique.
Pour résoudre cette crise, il faudra moins d’hypocrisie de la part des donateurs étrangers, la fin de l’agression rwandaise et un gouvernement congolais plus responsable. Mais les espoirs d’un grand accord sont lointains pour l’instant. Les processus de paix actuels – un “processus de Nairobi” pour les négociations nationales et un “processus de Luanda” pour les pourparlers régionaux – sont morts ou sont au point mort.
Les élections à venir au Rwanda (juillet 2024) et aux États-Unis (novembre 2024) ne contribueront probablement pas à calmer les esprits ni à les recentrer. Mais il est clair que la fin de la violence nécessitera une nouvelle approche, une approche qui place la vie des civils congolais innocents au centre de ses préoccupations.
Début de l’escalade régionale
Au cours des premiers jours de sa présidence, l’armée de Tshisekedi a collaboré intensément avec l’armée rwandaise, permettant aux troupes de mener des opérations contre les FDLR sur le territoire congolais en 2019 et 2020. Fin 2019, son gouvernement a même recommandé l’abandon des poursuites contre les commandants du M23, alors en exil.
Moins de trois ans après sa prise de pouvoir, Tshisekedi a toutefois changé d’approche, rompant sa coalition avec son prédécesseur, Joseph Kabila, et cherchant à consolider sa position au pouvoir. Il a déclaré l’état de siège dans deux provinces de l’Est, a changé les généraux de l’armée et a mis à l’écart les principaux securocrates. Il a également modifié ses relations régionales.
À la mi-2021, Tshisekedi a commencé à privilégier les relations avec l’Ouganda, qui était alors un rival acharné du Rwanda. Il a notamment donné l’autorisation à l’armée ougandaise de déployer entre 2 000 et 4 000 soldats pour traquer les rebelles des Forces démocratiques alliées, une rébellion islamiste ougandaise basée dans l’est de la RDC. Peu après, il a fait de même pour l’armée burundaise, qui avait dans sa ligne de mire le RED-Tabara, des rebelles basés en RDC qui cherchaient à renverser le gouvernement de Ndayishimiye.
Le Rwanda se sent soudain isolé, voire vulnérable, entouré de voisins hostiles. Il a probablement recommencé à peser de tout son poids sur le M23 en novembre 2021. Ce sont surtout ces tensions régionales, couplées à son objectif de maintenir son influence au Congo, qui l’ont poussé à bouger.
Depuis, les lignes de fracture régionales se sont déplacées. Le Rwanda a renoué avec l’Ouganda, et la force d’intervention de la Communauté d’Afrique de l’Est – des troupes kenyanes, sud-soudanaises, burundaises et ougandaises – qui s’est déployée en 2022 pour aider à réprimer les violences a été priée de repartir à peine un an plus tard. En effet, leurs hôtes les considéraient comme traînant les pieds, voire comme complices du M23. Tshisekedi, qui avait pris ses fonctions en considérant les pays d’Afrique de l’Est comme des alliés, s’est maintenant tourné vers le Sud.
Changements militaires dans l’est de la RDC
À partir de la fin de l’année 2023, une nouvelle force de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a commencé à déployer des troupes d’Afrique du Sud, de Tanzanie et du Malawi pour combattre le M23, aux côtés de l’armée burundaise.
Ces forces ont déjà commencé à subir des pertes. Deux soldats sud-africains ont été tués le 14 février par un tir de mortier ; deux autres ont été blessés lorsque leur hélicoptère a essuyé des tirs. Certaines sources indiquent que les soldats burundais ont subi de lourdes pertes.
Le degré croissant de sophistication militaire est également préoccupant. Le gouvernement américain a accusé le Rwanda de déployer des missiles sol-air, des fonctionnaires de l’ONU ont signalé que des drones armés avaient frappé leurs bases, tandis que la Tanzanie a envoyé des lance-roquettes BM-21 Grad de l’ère soviétique. La RDC a acheté neuf drones de combat CH-4 chinois (dont trois auraient déjà été abattus).
Entre-temps, l’armée congolaise s’est associée à des entreprises de sécurité privées ainsi qu’à un ensemble de milices locales, appelées Wazalendo (patriotes), qui sont mal formées et peu disciplinées. Des rapports crédibles datant de la fin de l’année 2023 indiquent que, comme l’année précédente, ils s’associent également aux rebelles rwandais des FDLR.
Pourtant, le gouvernement congolais n’a pas réussi à faire beaucoup de progrès. Début février, les forces du M23 ont encerclé la ville lacustre de Sake, à seulement 30 km à l’ouest de la capitale provinciale, Goma. Cette dernière poussée a déplacé 135 000 personnes supplémentaires vers Goma ; il y a environ un demi-million de personnes déplacées autour de la ville à l’heure actuelle.
Des signaux contradictoires
Contrairement à la crise précédente du M23, des acteurs étrangers influents ont envoyé des signaux contradictoires. Lors du Conseil de sécurité des Nations unies du 20 février les États-Unis et la France ont appelé le Rwanda à retirer ses troupes de la RDC. Parmi les donateurs du Rwanda, les États-Unis sont allés le plus loin, sanctionnant un général rwandais, suspendant toute aide militaire et tentant de négocier un cessez-le-feu en décembre 2023.
Et pourtant, les États-Unis restent, de loin, le plus grand donateur du Rwanda, qui reçoit l’équivalent d’environ un tiers de son budget sous forme d’aide. D’autres pays ont agi avec beaucoup moins de fermeté, voire pas du tout. Alors que la rébellion du M23 était en cours, le Commonwealth britannique a tenu sa grande réunion semestrielle à Kigali en 2022 et le Royaume-Uni a conclu un accord d’asile controversé avec le Rwanda.
L’UE a donné 22 millions de dollars pour soutenir le déploiement de la force de défense rwandaise au Mozambique. Le 19 février, l’UE a annoncé un accord pour stimuler les exportations de minerais du Rwanda.
Cette dernière nouvelle a suscité un tollé en RDC, en raison de la croyance populaire selon laquelle les minerais sont à l’origine de la crise. Bien que les causes de la violence soient beaucoup plus complexes que cela, il est vrai que la la principale exportation de l’Ouganda (56 % en 2021), du Rwanda (23 %) et du Burundi (29 %) au cours des dernières années a été l’or, dont la quasi-totalité est passée en contrebande vers leurs pays à partir de la RDC.
À long terme, le gouvernement de la RDC devra entreprendre une série de réformes pour mettre fin à ces cycles de conflit. Celles-ci comprennent la réforme de l’armée congolaise, un nouveau programme de démobilisation des groupes armés, un programme de développement économique qui permettrait aux Congolais de bénéficier de leurs ressources, un plan de réconciliation communale et la fin de la discrimination à l’encontre des locuteurs du kinyarwanda. Mais rien de tout cela ne pourra se faire tant que les voisins du Congo continueront à le déstabiliser.
Jason Stearns, Assistant Professor, School for International Studies, Simon Fraser University et Joshua Z. Walker, Director of Programs, Congo Research Group, Center on International Cooperation, New York University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.