La Tunisie a renvoyé en Italie des déchets ménagers importés illégalement. Depuis un quart de siècle, le pays nord-africain est devenu la décharge de l’Italie, à cause de la corruption.
C’est un retour à l’envoyeur qui n’est pas anodin. Sur fond de corruption, la Tunisie a accueilli, en 2020, des tonnes de déchets ménagers italiens. En tout, 280 conteneurs de déchets avaient été envoyés du sud de l’Italie jusqu’en Tunisie, via une société tunisienne. Durant l’été 2020, c’est de Salerne qu’étaient partis les conteneurs, avec une logistique assurée par la société italienne Sviluppo Risorse Ambientali. Arrivés à Sousse, dans l’est tunisien, les déchets avaient été réceptionnés par la société tunisienne Soreplast.
En théorie, rien de très anormal. Ces déchets de plastique devaient être recyclés avant d’être renvoyés à l’expéditeur. Mais lorsqu’un agent de la douane a décidé, à l’époque, de vérifier ce qui se trouvait dans les conteneurs, il avait découvert les fameux « déchets plastiques post-industriels » inscrits sur le registre des douanes, mais également… des déchets ménagers.
8 000 tonnes de déchets importés par Soreplast
Depuis, c’est un scandale écologique sans précédent qui agite la Tunisie, mais aussi l’Italie, qui a contrevenu aux lois européennes. Tout d’abord parce qu’il est en réalité impossible, pour la Tunisie, d’incinérer les déchets, puisqu’elle ne dispose pas des fameux incinérateurs. Mais surtout, Soreplast a menti sur sa déclaration. En tout, la société tunisienne est accusée d’avoir importé illégalement près de 8 000 tonnes de déchets non recyclables.
L’affaire a conduit à plusieurs arrestations. Dont certaines personnalités politiques comme le ministre de l’Environnement de l’époque, Mustapha Laroui, ou certains cadres du ministère, de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED) et de l’Agence nationale de protection de l’environnement (ANPE).
Mais c’est en réalité tout un réseau qui serait impliqué dans ce scandale. Un incendie, dont la cause n’a toujours pas été trouvée, a par exemple totalement détruit le dépôt de la Soreplast à la fin du mois de décembre 2021, brûlant plus du tiers de la cargaison de déchets italiens.
Selon des observateurs tunisiens, pour que ce système de faux traitement des déchets perdure, la société Soreplast a pu compter sur de nombreux soutiens. A commencer par celui des policiers. Cette semaine, l’Association tunisienne des contrôleurs publics (ATCP) indiquait, dans son rapport consacré à « la petite corruption », que les agents de police sont le corps de métier le plus corrompu en Tunisie. « Il s’agit d’une corruption administrative quotidienne et qui fournit des services, des facilitations et autres amnisties », écrit l’ATCP.
Policiers, douaniers et politiques corrompus
Outre la police et les douanes, les transporteurs italiens ont pu compter sur tout un réseau de déchetteries clandestines. En Tunisie, le secteur informel fonctionne à plein régime, au nez et à la barbe de l’Etat. Pire : selon les ONG locales, plusieurs associations et entreprises engrangeraient des fonds envoyés par des bailleurs de fonds internationaux sous couvert de projets écologiques. Mais les déchetteries et incinérateurs promis n’auraient jamais vu le jour, alors que les bailleurs fermeraient les yeux sur l’utilisation des fonds.
Des méthodes qui durent depuis les années 1990. Alors sous le joug de Ben Ali, la Tunisie profitait des déchets italiens pour encaisser des bénéfices intéressants. De l’enfouissement des déchets sur la lagune de Sejoumi, au sud de Tunis, jusqu’à l’importation illégale de déchets à Sousse, nombreuses sont les entreprises tunisiennes à avoir aidé des sociétés italiennes, ces dernières années, à se débarrasser de leurs déchets, au détriment des populations tunisiennes. Un contournement des lois qui n’a jamais été dénoncé par les ministres successifs de l’Environnement.
Mais ce week-end, la Tunisie a fini par réexpédier en Italie 213 des 280 conteneurs de déchets ménagers importés illégalement mi-2020. Un premier pas. Mais surtout une première prise de conscience dans un pays qui était devenu, à cause de la corruption et des réseaux mafieux des deux côtés de la Méditerranée, la poubelle de l’Italie.