Ces dernières années, Air France a perdu du terrain en Afrique face aux compagnies chinoises et turques notamment. Pourtant, depuis les indépendances, Paris a tout mis en œuvre pour que sa compagnie nationale reste hégémonique sur le continent.
28 mars 1961. Onze pays africains francophones, qui se sont rendu compte qu’ils manquaient de moyens pour lancer leurs propres compagnies aériennes nationales, s’unissent pour faire naître Air Afrique. Chaque pays détient alors un peu plus de 6,5 % du capital de la société, le tiers restant étant la propriété de la Sodetraf, une société française appartenant à l’Union de transports aériens (UTA) et à Air France. Mais en novembre 2001, après quatre décennies de vols, Air Afrique disparaît. La compagnie transnationale, sous perfusion depuis plusieurs années, ne survit pas au 11-Septembre. C’est d’ailleurs tout le monde de l’aérien qui connaît des difficultés : Swissair quitte l’Afrique francophone, tandis que la société belge Sabena enregistre, elle, quelques difficultés.
Début 2002, Air France se retrouve en quasi monopole. « En janvier 2002, ses prix avaient grimpé à plus de 1 600 euros pour un Paris-Ouagadougou en classe éco », expliquait il y a quinze ans Maurice Freund, le fondateur de Point-Afrique, le pionnier du charter. Le prix d’Air France à destination de l’Afrique finiront par baisser, mais la compagnie française refusera de faire amende honorable et assurera n’avoir pas tenté de profiter de sa position pour en tirer un maximum de profits.
Air Afrique ou comment Paris a mis la main sur le ciel africain
Dans le magazine Alternatives internationales, Maurice Freund racontait la difficulté qu’il avait eue, face à Air France, pour lancer une compagnie proposant des voyages à bas prix de la France jusqu’aux capitales africaines. Il faut dire que Point-Afrique proposait de réinvestir ses bénéfices dans les pays dans lesquels elle opérait, bien loin de la stratégie commerciale et mercantile d’Air France. La compagnie française exhorte ses partenaires, comme Air Ivoire à Abidjan, à barrer la route aux nouvelles sociétés qui lorgneraient sur son pré carré. Car la situation de quasi monopole arrange la compagnie parisienne, qui peut ainsi ajuster ses propres tarifs.
Dans les années 1960, même lorsque les pays africains prenaient une initiative, celle-ci était teintée de néo-colonialisme : Air Afrique, par exemple, bien que basée à Abidjan en Côte d’Ivoire, était une société de droit français. Et son objectif, louable, d’aider les Etats africains à créer leurs propres compagnies n’était pas dénué d’intérêt pour la France, qui prenait des participations dans les différentes sociétés de transport aérien nationales.
Comment la France s’est taillée la part du lion
La Sodetraf fut sans aucun doute l’outil qui permit le plus à Air France de profiter de la manne financière du secteur : la compagnie aérienne française, avec l’UTA, disposait de la minorité de blocage dans Air Afrique. Surtout, la compagnie prétendument africaine louait des appareils à Air France et à l’UTA. Au moment des indépendances, la France avait promis aux pays africains qu’ils seraient souverains dans les choix concernant les transports aériens intérieurs. Mais Paris leur imposait de passer par l’UTA… Une drôle de conception de la souveraineté.
Pour les vols internationaux, c’est Air France qui avait obtenu la plus grosse part du gâteau avec une « vocation exclusive » à opérer les vols entre la France et l’Afrique francophone, pendant au moins dix ans. Avec, en plus, la création d’Air Afrique, après la signature du traité de Yaoundé, l’UTA et Air France avaient réussi à garder la mainmise sur l’aviation civile. Mais pour une durée pour le moins limitée. Car ces dernières décennies, Air France a dû lutter pour conserver sa position dominante. Et Paris s’est diversifié.
Paris tente de défendre ses intérêts
Car il n’y a pas que les compagnies aériennes pour garder l’emprise sur le ciel africain : la France, par exemple, défend ses intérêts au sein de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna). Or, plusieurs Etats, à l’instar du Tchad et du Niger, se verraient bien modifier les statuts de l’organisation régionale qui s’occupe de la sécurité aérienne de nombreux aéroports sur le continent. Selon Africa Intelligence, ce changement de statuts « compromettrait la bonne gestion de l’Asecna et sa crédibilité auprès des bailleurs internationaux ». Surtout, l’organisation régionale prendrait peut-être trop de recul vis-à-vis de Paris.
Pour montrer sa bonne foi, Paris a laissé le contrôle financier après avoir mis la main pendant soixante ans sur ce poste. Mais généralement, l’attitude de Paris concernant sa mainmise sur le ciel africain commence à agacer. En pleine pandémie, Air France avait annoncé des agendas de reprise des vols sans consulter les pays concernés, qui avaient mal pris les communication officielles de la compagnie aérienne. Sans compter les augmentations de tarifs, mal digérées par les usagers.
Le boom des compagnies turques et chinoises
De quoi laisser la porte ouverte à d’autres opérateurs. La Chine lorgne depuis plusieurs années sur le ciel africain. Le pays asiatique a, depuis le début des années 2010, intensifié ses rotations vers le continent. En 2015, Johannesburg avait signé un protocole d’accord avec Pékin. Air China et South African Airways alliés, l’objectif était de laisser la Chine pénétrer le ciel africain. En dix ans, Pékin a multiplié par six le nombre de passagers transportés entre la Chine et l’Afrique. La Turquie est également un challenger important pour Paris. Avec 53 destinations sur le continent africain au départ d’Istanbul, Turkish Airlines grignote de plus en plus la part d’Air France. Avec son nouvel aéroport, Istanbul veut devenir un hub du secteur.
La compagnie Air France est bousculée, Paris ne veut pas perdre de son influence. Mais force est de constater que la politique française concernant le ciel africain s’effrite. Et la tentative des sociétés hexagonales de conserver leur pré carré en Afrique semble être aujourd’hui illusoire, tant les nouveaux acteurs du secteurs frappent à la porte. En attendant, Air France a décidé de se concentrer sur ses activités cargo, un segment laissé libre par de nombreuses autres compagnies pendant la crise sanitaire.