La question palestinienne demeure le seul dossier de libération d’un peuple sur lequel le soutien de l’Afrique du Sud a été indéniablement constant.
Le 11 janvier 2024, l’Afrique du Sud a traduit Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour violation de la Convention sur le génocide de 1948. Cette accusation porte sur les bombardements indiscriminés et le siège de Gaza par Israël à la suite de l’attaque meurtrière du 7 octobre contre Israël par le Hamas, qui a coûté la vie à 1 200 Israéliens.
Plus de 25 000 Palestiniens, dont au moins la moitié sont des enfants, auraient été tués dans les attaques de représailles israéliennes. Le siège a provoqué une crise humanitaire, avec des civils ayant du mal à se procurer de la nourriture et n’ayant pas accès aux hôpitaux, qui ont été presque totalement détruits.
L’équipe d’avocats sud-africains a plaidé auprès de la Cour pour l’instauration de mesures provisoires – des ordonnances temporaires visant à mettre fin à des dommages irréparables, incluant un cessez-le-feu immédiat – pendant que la Cour examine le bien-fondé de l’affaire.
En tant qu’observateurs des relations internationales de l’Afrique du Sud, nous considérons cette initiative comme le couronnement de la politique étrangère du pays depuis la fin de l’apartheid en 1994.
La libération de l’Afrique du Sud est parfois présentée comme le dernier acte de la décolonisation du XXe siècle : l’apogée de la solidarité du tiers-monde. La nouvelle approche du pays en matière de politique étrangère symbolisait les espoirs des pays qui luttaient pour la liberté. Le document de discussion de l’ANC (aujourd’hui au pouvoir) de 1994 déclarait :
une Afrique du Sud démocratique sera solidaire de tous ceux dont la lutte se poursuit.
De Mandela à Ramaphosa
Nelson Mandela, le premier président de l’Afrique du Sud démocratique, plaidait en faveur des droits de l’homme, parfois même aux dépens des partenaires africains. Cette promesse initiale a été progressivement mise en veilleuse.
En 1995, par exemple, Mandela a supplié le chef d’État militaire nigérian de l’époque Sani Abacha d’épargner la vie de Ken Saro-Wiwa et de huit autres militants Ogoni. Ils étaient des critiques de l’inaction du gouvernement nigérian à l’égard des compagnies pétrolières étrangères qui causent des dommages à l’environnement, ils furent accusés d’avoir assassiné des chefs ogoni. Les supplications de Mandela étaient restées lettre morte et ils furent exécutés.
Dans sa réponse cinglante, Mandela avait demandé que le Nigeria soit exclu du Mouvement des non-alignés et du Commonwealth jusqu’à ce qu’il établisse un régime démocratique. L’Afrique du Sud avait également rappelé son ambassadeur à Lagos pour consultations.
Depuis la fin des années 1990, sous les présidences successives de Thabo Mbeki, Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa, le gouvernement sud-africain a souvent apporté son soutien à des régimes autoritaires dans le Sud, souvent au détriment des luttes populaires. Parmi les exemples, on peut citer la Chine, la Russie, le Soudan et le Zimbabwe.
La politique étrangère sud-africaine est souvent décrite comme incohérente, peu claire et peu sincère.
La Palestine demeure le seul dossier de libération d’un peuple sur lequel le soutien de l’Afrique du Sud a été indéniablement constant.
Solidarité avec la Palestine
Pendant la guerre froide, les États sud-africain de l’apartheid et israélien ont collaboré sur des questions militaires, diplomatiques et nucléaires. Les mouvements de libération de ces deux pays – à savoir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Congrès national africain (ANC) – pratiquaient une forme alternative d’internationalisme. Il s’agissait d’un internationalisme subversif, inspiré par la solidarité des peuples du tiers-monde.
En 1974, lorsque le chef de l’OLP, Yasser Arafat, s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations unies, devenant ainsi le premier dirigeant de mouvements de libération à le faire, il a demandé que ce droit soit étendu à d’autres mouvements de libération. Arafat avait profité de l’occasion pour dénoncer le régime d’apartheid avec la même véhémence que celle qu’il mettait à critiquer Israël.
Deux ans plus tard, le président de l’ANC de l’époque, Oliver Tambo, a pris la parole devant la même instance et a salué le leadership d’Arafat sur cette question tout en exprimant sa “solidarité inébranlable” avec les Palestiniens.
Outre le soutien diplomatique, les deux mouvements partageaient les mêmes tactiques de résistance.
La faction d’Arafat au sein de l’OLP, le Fatah, a aidé l’ANC et d’autres mouvements de résistance à acquérir des formations et des armes. Il est important de noter que les relations entre Tambo et Arafat étaient basées sur la confiance. En 1988, Tambo a demandé à Arafat de l’aider à obtenir des fonds des pays du Moyen-Orient et a demandé à l’OLP de devenir l’administrateur financier des fonds provenant de cette région.
Le pilier
Cette cohérence d’approche et de soutien s’est reflétée dans le dossier de l’Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice, ramenant ainsi la promesse de libération au coeur de la conscience nationale sud-africaine. Cette initiative illustre une clarté souvent négligée dans la politique étrangère du pays en raison de ses incohérences qui ont abouti à des choix contradictoires au 21e siècle.
Elle reste fidèle aux principes fondateurs de la politique post-apartheid. Non seulement cela était nécessaire dans l’approche du pays sur les questions internationales, mais cela revêt également une importance capitale pour la restauration de l’estime de soi.
L’équipe sud-africaine à La Haye comprenait des opposants au gouvernement de l’ANC. Alors que les membres de l’équipe exposaient les arguments juridiques et éthiques contre les ambitions génocidaires d’Israël, la nation les observait avec espoir.
Pouvait-on enfin s’attendre à ce que sa diplomatie soit à la hauteur des idéaux élevés que le pays s’était fixés à la fin de l’apartheid?
La comparution de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice confirme le besoin de retrouver la boussole morale que le gouvernement de l’ANC a perdue.
Peter Vale, Senior Research Fellow, Centre for the Advancement of Scholarship, University of Pretoria., University of Pretoria et Vineet Thakur, Assistant Professor, International Relations, Leiden University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.