Le duel qui oppose les deux généraux soudanais, al-Burhane et Hemeti, trouve son origine dans l’histoire récente du Soudan. Notamment au moment du règne d’Omar el-Béchir.
En décembre 2018, les espoirs des Soudanais ont été rapidement douchés : à Khartoum, et dans d’autres villes du Soudan, la révolution populaire avait pour objectifs la liberté, la paix et la justice, après 30 ans de règne d’un régime dictatorial qui a fait des ravages, auteur d’une véritable épuration ethnique au Darfour. Les dirigeants de l’Ancien régime sont toujours recherchés par la Cour pénale internationale. À l’époque, les Rapid Support Forces (RSF) s’étaient rangées du côté de la révolution populaire. Leur chef avait alors promis une protection des révolutionnaires jusqu’à chute du régime al-Béchir. Plusieurs dirigeants de ce régime ont été mis en prison, en vue de procès équitables.
La position des RSF, leur participation à la chute du régime d’el-Béchir et la volonté de Mohamed Hamdan Dogolo, alias « Hemeti », de purger l’armée soudanaise de ses affidés aux Frères musulmans, a fait de ces forces rapides de soutien un ennemi de la Confrérie. Et surtout été à l’origine d’un règlement de comptes entre le président Abdel Fattah al-Burhane, qui dirige l’armée régulière du pays, et le vice-président du Conseil de souveraineté de transition, Mohamed Hamdan Dogolo.
Les raisons des désaccords al-Burhane-Hemeti
Une bataille entre les deux hommes qui a débuté il y a un an et demi… Le général al-Burhane s’était, à la fin de l’année 2021, retourné contre le gouvernement civil dirigé par Abdullah Hamdok. Le commandant des RSF, Hemeti, avait de son côté annoncé son soutien à un régime civil intégral, par le biais de l’accord-cadre soutenu par les Nations unies, l’Union africaine, l’Intergovernmental Authority on Development (IGAD) et quatre puissances étrangères — Etats-Unis, Royaume-Uni, Arabie saoudite et Emirats arabes unis. Les RSF ont alors accepté le processus d’intégration dans les forces armées. Mais à quelques heures de la signature de l’accord final, des combats ont eu lieu entre l’armée et les RSF.
Les dirigeants du Grand Courant islamique, qui ont pu à nouveau avancer leurs pions en avril 2022, six mois après le coup d’Etat du général Abdel Fattah al-Burhane, pour certains recherchés par la justice internationale pour des crimes de guerre, le génocide au Darfour et des crimes contre l’humanité, ont déclaré combattre aux côtés des forces d’al-Burhane. Pour eux, pas question de signer un accord politique avec les civils ni de prévoir, un jour, une passation de pouvoirs. Selon nos informations, avec les échanges de tirs entre armée et RSF, des membres des Frères musulmans, Anas Omar en tête, auraient menacé de confisquer le pouvoir et déclaré être contre un régime civil.
Les reliques du régime el-Béchir
Le général Anas Omar est un dirigeant de l’organisation des Frères musulmans. Sous les ordres d’Omar el-Béchir, il était chargé d’arrêter, de torturer, de poursuivre les opposants. Un autre homme a rejoint le mouvement : Ali Karti, ex-ministre des Affaires étrangères, chef des « Brigades de l’ombre » et de la « défense populaire », des forces militaires djihadistes affiliées au parti d’el-Béchir. Ces forces sont accusées de nombreux meurtres de civils opposés au régime d’el-Béchir. Ali Karti serait encore très actif à la tête de l’armée régulière soudanaise et aurait une place de choix auprès d’al-Burhane.
Historiquement, l’armée et les Frères musulmans ont une histoire commune. Pendant longtemps, l’admission au Collège militaire, qui forme les officiers de l’armée soudanaise, est restée conditionnée à l’appartenance à la confrérie islamiste. Il fallait aussi être introduit par un membre du régime el-Béchir. Ali Karti s’est fait connaître au début des années 2010, pour avoir fourni des armes en Libye à la fin du règne de l’ancien président Mouammar Kadhafi.
Un troisième homme d’el-Béchir, le lieutenant-colonel Mudassir Othman, est également proche d’al-Burhane, qui l’a nommé secrétaire de son bureau au quartier général de l’armée. Gendre du chef islamiste, actuellement en fuite, Ali Karti, Mudassir Othman a occupé le poste de directeur du cabinet du dernier ministre de la Défense et vice-président Awad Ibn Auf sous Omar el-Béchir. Selon Africa Intelligence, « Ali Karti est toujours à Khartoum, et non à Istanbul comme la plupart des dirigeants islamiques l’affirment ». Sa proximité avec al-Burhane empêcherait son arrestation. Othman est aujourd’hui considéré comme le coordinateur entre islamistes et putschistes. Des islamistes, depuis avril 2022, ont été nommés dans les services de renseignement : al-Burhane a nommé les généraux islamistes Abdel Nabi al-Mahi et Abdelmonim Jalal à la tête des services de renseignement. Hisham Hussein, lui, a été promu et nommé directeur adjoint du General Intelligence Service. Hussein possède Almogran Petrolium et est très actif dans la coordination de la répression des manifestations s’opposant au coup d’État en cours.
Entre al-Burhane et les Frères musulmans, un lien indéfectible
Le général al-Burhane a occupé le poste de commissaire « Nirti » à Zalingei, dans le Darfour central, avec l’appui des Frères musulmans, à une époque où aucun Soudanais n’était autorisé à obtenir un poste prestigieux s’il n’était pas affilié à la confrérie. Depuis, il peut compter sur le soutien d’Oussama Abdallah, qui occupait le poste de ministre de l’Electricité et des Barrages sous el-Béchir. Membre des Frères musulmans, il est l’un de cerveaux des crimes commis au Darfour. Abdallah a également occupé le poste de chef de l’appareil de sécurité secret des Frères musulmans, qui a participé à l’élimination de nombreux opposants pendant le règne d’el-Béchir.
Ce soutien, notamment de la part des ex-caciques du régime el-Béchir qui ont été libérés de prison, al-Burhane l’accepte volontiers, tant le général a du mal à endiguer les offensives des RSF. Difficile de s’en cacher : Ahmed Muhammad Haroun, le dernier président du parti d’el-Béchir, dissous, a déclaré son soutien à l’armée dans un enregistrement audio qui a fuité dans les médias. Son objectif est clair : « Saper la révolution populaire ». Quelques jours avant le début des combats, plusieurs ex-alliés d’el-Béchir auraient été libérés de prison. Comme al-Hajj, ex-secrétaire général du Parti du Congrès populaire, fondé par Hassan Abdullah al-Turabi, le fondateur du régime des Frères musulmans au Soudan, ou Ibrahim al-Senussi, l’adjoint d’al-Tourabi. Ali Othman Taha, Nafie Ali Nafie et Awad Al-Jazz, très proches d’el-Béchir, auraient également pris la fuite.
Yasser Saeed Arman, porte-parole du Sudan People’s Liberation Movement (SPLM), indique dans un tweet que Ahmed Haroun lui a indiqué que ces fugitifs agissaient au nom d’Omar el-Béchir. Une hypothèse déjà évoquée par certains médias soudanais, comme le journal indépendant Al-Jarida, mais également par Hemeti lui-même.