Le gouvernement du président Tshisekedi n’a plus l’excuse d’être entravé par l’emprise du clan de son prédécesseur Joseph Kabila et peut désormais avancer sereinement.
Félix Tshisekedi, de l’Union pour la démocratie et le progrès social, est devenu le cinquième président de la République démocratique du Congo (RDC) en janvier 2019 après l’une des élections les plus attendues de l’histoire du pays.
Les loyalistes du parti ont célébré l’événement. Mais beaucoup d’autres –- tant en RDC qu’à l’étranger –- ont déploré une nouvelle élection volée. Le Financial Times a trouvé des preuves irréfutables que l’élection avait fait l’objet d’une fraude d’une ampleur inouïe. Alors que Martin Fayulu devrait de droit être le président en exercice de la RDC, Tshisekedi occupe le palais présidentiel, ou la « Maison Blanche » comme on l’appelle parfois.
C’était un début peu prometteur. La fragilité de la position de Tshisekedi était aggravée par le fait qu’il avait formé avec l’ancien chef d’État Joseph Kabila une alliance précaire. Les deux n’ont pas fait bon ménage et ont engagé une lutte au coeur de la politique congolaise.
La coalition de Tshisekedi, Cap sur le changement, était minoritaire, tant à l’Assemblée nationale congolaise qu’au Sénat. Les deux branches du parlement congolais étaient dominées par la coalition Front commun pour le Congo, contrôlée par Kabila.
Faute de soutien parlementaire, Tshisekédi était, il faut le reconnaitre, en posision de faisblesse. Il a dû accepter le choix de Kabila pour le poste de premier ministre, Sylvestre Ilunga, en mai 2019. Il lui a fallu attendre cette année pour pouvoir enfin évincer Ilunga, un ancien professeur d’économie.
En avril, Tshisekedi a également réussi à écarter du pouvoir de nombreux membres de la coalition Front commun pour le Congo. Il a fermement établi son emprise sur le pouvoir politique à Kinshasa.
Bref, son gouvernement n’a plus l’excuse d’être entravé par l’emprise de l’ancien clan de son prédecesseur. Ayant renforcé sa mainmise sur la présidence, Tshisekedi doit s’atteler à la mise en œuvre d’un programme de changement au service du peuple congolais
Ce qui a été fait
En mars 2019, Tshisekedi a lancé un programme d’urgence de 100 jours pour donner le coup d’envoi à sa présidence. Le programme a été inauguré par la publication d’un document de 78 pages qui couvrait quelques-unes des priorités les plus importantes du gouvernement actuel à l’époque. Même si de nombreuses questions étaient abordées, comme la promotion de l’industrie et l’énergie, une grande partie de l’argent était réservée aux infrastructures: 183,2 millions de dollars. Pourtant, bon nombre de ces projets sont inachevés.
Malgré la nécessité de prendre des mesures supplémentaires en ce qui concerne les projets de construction de routes, le président pourrait inscrire à son actif – fut-il partiellement – la fin de l’épidémie d’Ebola de 2018-2020 dans l’est du Congo.
Bien que les communautés locales et les ONG aient été au cœur des activités de secours, cela s’est produit pendant le mandat de Tshisekedi et il le presentera sans doute comme l’un de ses succès.
Dans le même temps, certains prisonniers politiques ont été libérés, une décision qui permet de distinguer sa présidence de celle de Joseph Kabila.
Même s’il y a eu quelques changements, peu de Congolais ont constaté des améliorations majeures. Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la vie des citoyens de la RDC, et cela est particulièrement vrai en dehors de la capitale.
Ce qu’il reste à faire
Tout d’abord, de graves violences se poursuivent dans la province de l’Ituri, dans le nord-est du pays. Après une décennie de paix relative de 2007 à 2017, les violences intercommunautaires entre Lendu et Hema ont repris ces dernières années. La récente campagne de terreur menée par les Forces Démocratiques Alliées islamistes a également contribué à accroître la violence dans la région nord-est du pays.
Alors que la violence se poursuit dans l’est de la RDC, la marge de progrès est encore énorme dans le secteur minier extrêmement important situé en grande partie dans la province du Haut-Katanga, où la violence a diminué considérablement. Le gouvernement de Tshisekedi s’est engagé dans un long processus de négociations avec un consortium d’investisseurs miniers chinois basé dans le sud-est du pays.
Ces négociations, quoique lentes, présente quelques avantages pour l’État congolais. Les discussions portent sur le montant que les investisseurs chinois donneront à l’État en contrepartie des minéraux qu’ils exploitent.
En mai, le président a déclaré qu’il pensait que les contrats miniers précédents pourraient être revus. Globalement, il a cherché à renégocier le tristement célèbre accord « minerais contre infrastructures » de Sicomines, conclu entre un groupe d’investisseurs chinois et le gouvernement congolais en 2008. En août, il a créé une commission chargée d’examiner les contrats miniers en vue d’obtenir des contrats plus avantageux.
Perspectives
Si un bon accord minier peut être conclu, la prospérité relative de ce secteur pourrait servir à propulser les plans de Tshisekedi au-delà du vieux programme d’urgence de 100 jours.
Premièrement, cela pourrait aider le secteur des infrastructures en difficulté, qui a connu peu de développement. La plupart des infrastructures sont dans un état de délabrement. Un réseau routier décent aiderait à propulser les entreprises et notamment celles du secteur agricole, si important pour la RDC.
Deuxièmement, des fonds publics plus importants pourraient aider le président à s’attaquer aux problèmes du système éducatif. Une grève très inquiétante des enseignants est en cours en RDC, le manque de salaire étant l’une des raisons de l’arrêt de travail. Voilà un problème qui nécessite une solution urgente.
Troisièmement, le secteur de la santé en RDC a également besoin d’un coup de pouce en termes d’investissements , notamment en raison de la pandémie.
En bref, le gouvernement de Tshisekedi dispose désormais d’un capital politique durement acquis, qui lui permettrait d’opérer quelques-uns des changements qu’il a promis pendant sa campagne. Certains de ces changements pourraient être mis en œuvre par la négociation d’un accord minier décent, et à condition que cet argent soit distribué judicieusement.
Le secteur minier, aussi controversé soit-il, a connu une croissance soutenue depuis le boom des matières premières en 2007. Par ailleurs, la transparence au sein du secteur minier est apparemment en train de s’améliorer. Il est donc temps pour Tshisekedi de conclure un accord avantageux et de résoudre quelques-uns des nombreux problèmes auxquels ses citoyens sont confrontés.
Reuben Loffman, Maître de conférences en histoire africaine, Queen Mary University of London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.