Trois ans avant de devenir le second président de l’Egypte, et deux semaines après l’abolition de la monarchie et l’indépendance, le leader égyptien Gamal Abdel Nasser avait tenu son premier discours en habits civils. Un discours qui détermina l’essor de la décennie socialiste en Egypte.
Le 1er juillet 1953, l’homme d’Etat égyptien Gamal Abdel Nasser a tenu un discours historique au Caire. Une dénonciation avant-gardiste de la politique économique des anciennes colonies et de l’Occident en général. Il était encore un simple lieutenant-colonel et le chef du conseil révolutionnaire égyptien. Son discours historique, pourtant filmé, est aujourd’hui encore censuré par les médias.
Le plus grand socialiste de l’histoire d’Egypte, les mots d’Abdel Nasser n’étaient pourtant pas politiques. Il commença son discours ainsi : « Les Etats-Unis proposent des dons de blé, de viande, de poulet ». Il étouffa ensuite un rire devant un public amusé par la sémantique d’Abdel Nasser. Avant de continuer : « Ils n’offrent pas des secrets industriels ou technologiques, vraiment. Tout ce qu’ils offrent est l’équivalent de 3% de notre PIB en denrées alimentaires ».
Ensuite, Abdel Nasser procéda à détailler la planification socialiste égyptienne. Appelant à la fois à la nécessité du sacrifice et l’essentialité de la souveraineté. En effet, l’ère d’Abdel Nasser était marquée par une neutralité historique vis-à-vis de la guerre froide. Et si le colonialisme britannique a essayé de maintenir le recul économique, social, militaire et industriel de l’Egypte. L’arrivée d’Abdel Nasser, précédé par le meneur des officiers libres, Mohammed Naguib, a sonné le glas de ces réalités.
Gamal Abdel Nasser et le premier socialisme africain
En effet, dans ce sens, Abdel Nasser ressemble énormément aux autres chefs anticoloniaux africains. Car le socialisme a été vécu bien différemment en Afrique qu’ailleurs. La valeur de la participation citoyenne à l’installation de l’Etat a été remarquable en Egypte. Surtout en marge de la guerre froide et du conflit du Suez.
Cette victoire d’Abdel Nasser en a fait un symbole. Mais bien avant, il avait nationalisé le canal du Suez. Ce qui lui a valu l’affront franco-britannique sur tous les sujets. Notamment, la guerre du Sinaï, la question soudanaise et les ambitions panarabes d’Abdel Nasser.
Toutefois, le plan industriel et agricole a été si profondément convainquant pour les Egyptiens sous Abdel Nasser, que ses structures existent encore aujourd’hui. Le système d’irrigation, le réseau routier, les chemins de fer etc. sont des acquis du socialisme égyptien que le pays exploite encore. Non seulement ce progrès fulgurant aurait été impossible sans le charisme de Gamal Abdel Nasser, mais il a été bâti sur une initiative populaire. Si on devait comparer la planification égyptienne, ce serait avec celle du Burkina Faso sous Thomas Sankara. Ces références restent aujourd’hui un modèle de réussite des économies souveraines dans les pays africains, parmi d’autres, bien que rares.
Sur un autre plan, Gamal Abdel Nasser a réussi, surtout durant la fin des années 1960, à instaurer la prépondérance culturelle de l’Egypte en Afrique du Nord et dans la zone MENA. Le socialisme nassériste s’est autant appuyé sur le nationalisme arabe, que sur « l’effort révolutionnaire » et la culture.
June 23: #OTD in 1956, Gamal Abdel-Nasser (1918-1970) was appointed president of Egypt. He was the country's 2nd president and served until his death in September 1970. Read more: https://t.co/ufWDPFn3oc.
(📷: Nasser w/ Fidel Castro in Harlem, 1960) pic.twitter.com/C0Rljgbhq5— BlackPast.org (@BlackPastOnline) June 23, 2021
Abdel Nasser, mécène des arts et de la culture
Abdel Nasser a commencé sa carrière politique en treillis. Mais comme président, on l’aurait vu pleurer aux chants de Oum Kalthoum. Et l’Astre de l’Orient le lui avait rendu, dans la vie comme lors de ses funérailles précoces.
Dès le début de son mandat en 1956, Abdel Nasser a cherché à nationaliser l’industrie du cinéma. Il y réussit partiellement, mais assez pour participer à la création du néoréalisme cinématographique en Egypte. En effet, sous Abdel Nasser, les stars égyptiennes du cinéma n’étaient plus issues de l’aristocratie ou choisis par les producteurs. Mais les films d’auteur et es artistes issus des régions défavorisées trouvèrent leur chance. Plus de 223 longs-métrages sont issus des studios de l’Etat, dont aucun ne faisait état de propagande politique.
De plus, les intervenants imminents de la culture égyptienne remercièrent Abdel Nasser pour son ouverture d’esprit à leur manière. L’invitant aux avant-premières ou même aux fêtes privées. Et grâce à cette mouvance culturelle inouïe, le secteur culturel égyptien avait occupé en une décennie un rang mondial. Il suffit de mentionner les acteurs Ismail Yasin et Souad Hosni pour se rendre compte à quel point le fatalisme cinématographique égyptien n’était comparable à cette époque qu’au réalisme italien ou au cinéma hollywoodien.
Au niveau littéraire, Abdel Nasser a encouragé la littérature arabe et africaine, en organisant plusieurs prix internationaux. Et malgré l’importance de la littérature philosophique et politique soviétiques pour la promotion de ses idéaux, Abdel Nasser n’a jamais tenté de monopoliser le marché. Ainsi donc, ledit « cosmopolitisme arabiste », porté surtout par des essayistes libanais, libyens, égyptiens et moyen-orientaux a connu un second souffle pendant la présidence d’Abdel Nasser. Et ce, malgré le contraste clair entre ses idéaux modernes et cette littérature historique. Ainsi, Gamal Abdel Nasser a permis la sauvegarde d’une grande part de la culture africaine, méditerranéenne et moyen-orientale.
La fierté, la liberté et l’honneur
Le socialisme nassériste et la culture n’étaient que deux flèches dans le carquois d’Abdel Nasser. Sa politique interne et son courage face à ses détracteurs firent autant sa légende que la réussite de sa gouvernance. Lors de la première tentative d’assassinat à son encontre, les huit coups de pistolet qui le visèrent ont raté leur cible. Toutefois, Abdel Nasser n’aurait même pas réagi, et a continué son discours.
« S’ils me tuent, cela m’importe peu. J’ai inculqué la fierté, la liberté et l’honneur en vous. Et vous êtes prêts à sacrifier votre vie pour l’Egypte, comme je le suis », a-t-il déclaré dans son discours émotionnel. Cette tentative d’assassinat a remis du vent en poupe à une tendance plus radicale de l’ère Abdel Nasser. Pour l’attentat, le président Naguib a été limogé. Aussi, les idéologues et partisans des Frères musulmans ont été arrêtés par centaines. En tête de liste, le penseur wahabite antimoderniste Sayyid Qutb a été condamné à mort.
En pleine guerre avec Israël, Abdel Nasser avait perdu beaucoup de soutien national. Et, en effet, c’était à coups de trahisons successives que ses tentatives de libérer la Palestine ont échoué. Abdel Nasser considérait qu’il était impossible « de discuter une paix avec un Etat expansionniste et criminel ».
Durant les années 1960, Abdel Nasser tentait de rallier les pays africains à sa position neutre vis-à-vis de la guerre froide. Il considérait que le neutralisme positif était essentiel à la survie des Etats post-coloniaux. Mais ses efforts n’ont pas eu d’impact en Afrique. Force est de constater que les pays ayant rejoint sa position, à savoir l’Inde et la Slovénie (encore partie de la Yougoslavie), se sont assurés une souveraineté diplomatique remarquable.
Pourtant, le souverainisme et la neutralité ont influencé négativement la fin de l’ère Abdel Nasser. La fin des années 1960 a été marquée de défaites géostratégiques. Et le décès d’Abdel Nasser en 1970 a mis un coup d’arrêt aux ambitions socialistes de l’Egypte.