Alors que dans certains pays africains, la binationalité fait débat, plusieurs Etats autorisent dans les faits la détention de deux passeports, malgré des textes parfois désuets.
« Comme des centaines de milliers de Tunisiens qui ont résidé et travaillé à l’étranger j’avais une deuxième nationalité ». Alors que, en 2019, se déroule la campagne présidentielle tunisienne, le Premier ministre Youssef Chahed est accusé par les membres de son propre parti de disposer d’un passeport français, en plus de son document d’identité tunisien. Un véritable tollé. Au mois d’août, Youssef Chahed assure avoir renoncé à sa nationalité française et demande à ses concurrents, Mehdi Jomaa, Saïd Aïdi et Hechmi Hamdi d’en faire de même.
Pourtant, la Constitution tunisienne autorise depuis 2014 les binationaux à être candidats à la magistrature suprême. Le renoncement à leur seconde nationalité n’intervient qu’une fois le candidat élu président. Un simple « engagement de renoncer à l’autre nationalité » doit être ajouté à son dossier, indique l’article 74 de la Constitution.
Au Sénégal, en 2016, un membre de l’Alliance pour la République, le parti au pouvoir, proposais, trois ans avant l’élection présidentielle, d’inscrire dans la Constitution l’obligation pour tout candidat à la présidentielle de « renoncer à sa ou ses nationalités, cinq ans au moins avant le jour du scrutin ». Macky Sall avait alors dû calmer le jeu, en rappelant que c’est la Constitution de 1992 qui disait « que pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut être exclusivement de nationalité sénégalaise ».
Il n’empêche que le débat qui a eu lieu à propos de Youssef Chahed ou de la Constitution sénégalaise montre la délicatesse du débat sur la binationalité. Un débat qui ne touche pas que les candidats à la magistrature suprême. En Algérie, en mars dernier, les parlementaires annoncent qu’ils planchent sur une loi de déchéance de la nationalité concernant les citoyens binationaux « qui portent de graves préjudices aux intérêts de l’Etat ou qui portent atteinte à l’unité nationale ».
En République démocratique du Congo, le débat va encore plus loin. Selon la Constitution, « la nationalité congolaise est une et exclusive ». L’article 10 du texte est clair : un Congolais ne peut donc pas avoir d’autre nationalité. Un dilemme pour les 5 à 7 millions de Congolais de la diaspora, dont certains ont acquis la nationalité de leur pays d’accueil.
Les binationaux privés de certains postes
Un article de loi qui découle de l’indépendance. A l’époque des indépendances, plusieurs pays africains avaient demandé à leurs ressortissants binationaux de faire un choix clair. Dans une étude datant de 2011, la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) rappelle que, « à l’indépendance, beaucoup de pays africains ont décidé que la double nationalité ne devait pas être autorisée : ils voulaient s’assurer que ceux qui pourraient prétendre à une autre nationalité — en particulier les personnes d’ascendance européenne, asiatique, ou du Moyen-Orient — seraient tenus de choisir entre les deux loyautés possibles. Ceux qui ne prirent pas la nationalité du pays nouvellement indépendant furent considérés avec une certaine suspicion, comme une possible ‘cinquième colonne’ au service des anciennes puissances coloniales ou d’autres intérêts ».
Face à une diaspora engagée et déterminée, bien que parfois désorganisée, plusieurs pays ont décidé de modifier les règles : l’Angola, le Burundi ou encore Djibouti et le Gabon autorisent désormais la double nationalité. Quelques pays parmi tant d’autres. En 2011, le nombre de pays africains qui permettaient la double nationalité était à peu près équivalent au nombre de ceux qui l’interdisaient.
L’Union africain considère la diaspora comme une « sixième région »
Si les textes changent petit à petit, tout n’est pas rose pour les binationaux. Ainsi, de nombreux pays ont des lois interdisant l’accès à la haute fonction publique à ceux qui ont la double nationalité. Au Ghana, indique la CADHP, « il existe une liste de postes que les détenteurs de la double nationalité ne sont pas autorisés en aucun cas à occuper, et beaucoup de politiciens ghanéens se sont vu interdire d’occuper des postes ministériels à moins de renoncer à une nationalité étrangère ». A défaut d’autoriser la double nationalité, le Ghana a opté pour un « statut intermédiaire » pour les membres binationaux de la diaspora. Ainsi, les Ghanéens qui avaient dû abandonner leur passeport ont pu à nouveau postuler pour le récupérer.
En juin 2020, la CADHP se félicitait de « la fin de l’interdiction de la double nationalité », qui avait été « favorisée par les décisions de l’Union africaine qui reconnaissent la diaspora comme ‘sixième région’ du continent ». Mais, déplore la commission, si l’UA et l’Organisation de l’unité africaine (OUA) œuvrent en ce sens, « le droit international n’a pas encore accepté l’idée d’un droit d’avoir plusieurs nationalités ».