Pour augmenter les rendements des céréales en Afrique, la production d’engrais verts à travers la culture de légumineuses est prometteuse. Mais certains obstacles subsistent.
Éliminer la faim d’ici à 2030 fait partie des objectifs de développement durable fixés par l’ONU. Un défi de taille en Afrique subsaharienne, où un tiers des ménages se trouve toujours en situation d’insécurité alimentaire. Pour répondre à la demande de la population africaine en pleine expansion, la nécessité d’une augmentation importante du rendement des céréales.) est largement admise.
Ces derniers sont fortement limités dans la région en raison de l’épuisement des stocks de nutriments des sols après des décennies de culture continue sous fertilisation insuffisante, résultant elle-même de la faible utilisation d’engrais minéraux et des faibles biomasses disponibles pour la fertilisation organique.
Actuellement, la quantité d’azote appliquée devrait être multipliée par 15 pour atteindre un niveau de rendement céréalier compatible avec la sécurité alimentaire.
Les nutriments précieux des engrais verts
Les engrais minéraux sont l’un des moyens pour augmenter la disponibilité de l’azote pour les cultures. S’ils sont cruciaux pour hisser le rendement des céréales, ils peuvent toutefois nuire à l’environnement en cas d’usage excessif et leur prix est souvent trop élevé pour les agriculteurs, la perturbation des marchés mondiaux liée à la guerre en Ukraine ayant aggravé la contrainte.
L’azote abonde dans l’atmosphère et les légumineuses ont la capacité unique de fixer cet azote atmosphérique dans leurs tissus végétaux grâce à une symbiose avec une bactérie. Les cultiver avant les céréales en enfouissant leurs résidus avant le semis pourrait fournir au sol des quantités substantielles d’azote et optimiser le recours aux engrais minéraux nécessaires afin d’obtenir un meilleur rendement des céréales.
Un effet bien connu dans les systèmes tempérés et tropicaux, mais qui peut fortement varier d’une année à l’autre. Avec une hausse de la température, les résidus de légumineuses se décomposeront plus vite, tandis qu’en cas de pluies intenses, l’azote obtenu par la décomposition des résidus pourrait être lessivé et perdu pour la culture.
Engrais, climat et croissance du riz à Madagascar
Depuis plus de 20 ans, le Fofifa et le Cirad (deux instituts de recherche respectivement malgache et français) explorent différentes pistes visant à intensifier durablement la production de l’agriculture malgache et à augmenter le revenu des ménages.
Dans cette étude récente, nous avons questionné l’opportunité de remplacer une partie des engrais minéraux utilisés pour l’augmentation des rendements, par l’utilisation d’engrais verts pour la culture du riz pluvial à Madagascar. La politique générale de l’État à Madagascar prévoit d’accroître la production de riz afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire du pays.
Cependant, la saturation des zones basses inondables où est cultivé le riz irrigué, et le développement et la diffusion récente de variétés tolérantes à l’altitude ont entraîné une expansion rapide de la culture du riz pluvial dans la région des Hautes Terres : en 2011, 71 % des agriculteurs cultivaient du riz pluvial.
Or ils obtiennent actuellement un rendement moyen de 1,6 t/ha, bien inférieur au rendement maximal d’environ 4 à 6t/ha qui peut être obtenu dans les stations de recherche en conditions expérimentales, c’est-à-dire lorsque les nutriments ne sont pas limitants et les bioagresseurs – ravageurs, maladies, adventices – sont maîtrisés.
Mucuna et Crotalaria
Dans notre expérience, l’engrais vert cultivé était une combinaison des légumineuses « Mucuna » et « Crotalaria ». Grâce à une croissance et des architectures des parties aériennes complémentaires, ces deux plantes peuvent produire une grande quantité de biomasse végétale et ainsi fixer l’azote atmosphérique. Cet engrais vert a été cultivé pendant la saison des pluies de la première année d’une rotation de deux ans à base de riz pluvial, dont les résidus ont ensuite été incorporés au sol, avant le travail du sol et le semis du riz de la saison culturale suivante.
La rotation a été répétée deux fois pour les besoins de l’expérience et comparée à une monoculture de riz. Nous avons effectué un suivi approfondi sur cette expérimentation, mesurant la quantité d’azote dans le sol et dans les plantes, la dynamique de croissance du riz, la biomasse produite et le rendement en grains. Les données recueillies ont permis d’adapter un modèle de simulation de culture au cas du riz pluvial à Madagascar, afin de reproduire l’impact de l’incorporation d’engrais vert et de sa décomposition sur la croissance du riz.
Une modélisation prometteuse
Le modèle nous a ensuite servi à explorer les possibles avantages de l’engrais vert sur la croissance du riz, pour 24 saisons de croissance du riz hypothétiques, construites en s’appuyant sur les mesures climatiques correspondant à notre région d’études, pour une période allant de 1994 à 2018. Dans cette expérimentation virtuelle, nous avons fixé la quantité d’engrais verts incorporée dans le sol avant la culture du riz à 6t/ha (soit 140 kg d’azote) sur la base de ce qui a été obtenu au champ.
D’après nos constats, la culture et l’intégration de l’engrais vert ont permis d’économiser une partie des engrais minéraux requis pour améliorer le rendement en riz. Nous avons fixé le rendement cible à 3,7 t/ha, soit 75 % du rendement maximal obtenu dans les expériences en station. Ce rendement de référence a été atteint avec 40 kg/ha d’azote apporté par l’engrais minéral lorsque l’engrais vert a été ajouté au sol. En comparaison, plus du double de cette quantité, soit 100 kg d’azote par hectare, était nécessaire sans l’utilisation d’engrais vert.
Des compromis à faire
Cette pratique prometteuse nécessite toutefois des ajustements importants pour permettre sa mise en œuvre au sein des exploitations agricoles familiales malgaches. Trois aspects majeurs sont à considérer.
Premièrement, les années de forte pluviométrie, les bénéfices de l’engrais vert sur la productivité du riz n’ont pas été constatés : l’azote supplémentaire apporté par la décomposition de l’engrais vert a été lessivé et n’était plus disponible pour le riz. Cela exige donc une gestion dynamique des résidus et des engrais, et un besoin de conseil technique pour adapter l’offre aux nécessités de la plante.
Ensuite, l’augmentation de la productivité du riz permise par l’engrais vert n’a pas entièrement compensé la perte de rendement du riz due à la culture de l’engrais vert. Si les agriculteurs veulent cultiver l’engrais vert, ils doivent consacrer une partie de leur terre à cette culture – cette partie serait autrement utilisée pour cultiver du riz pour l’autosuffisance alimentaire du ménage. Des mécanismes incitatifs pourraient être mis en œuvre pour compenser cette perte car la mise en culture de ces engrais en rotation peut rendre différents services non négligeables (meilleure gestion des ravageurs, nématodes et adventices, amélioration de la fertilité du sol au cours du temps, maintien de la biodiversité.
Enfin, les résidus de culture sont généralement laissés sur la parcelle et broutés par le bétail de la région. Cela nécessite donc d’avoir des solutions alternatives pour nourrir le bétail, de développer les filières idoines pour garantir un approvisionnement pour ces agriculteurs qui sont souvent éloignés des infrastructures, mais aussi de s’assurer que des mécanismes existent, là aussi, pour compenser cette dépense supplémentaire pour l’exploitation dont la majorité subsiste avec moins de 540€ par an par actif agricole.
Légumineuses à double usage
La contrainte liée à la pluviométrie peut être surmontée en ajustant la date d’incorporation de l’engrais vert et la date de semis du riz afin de mieux synchroniser la décomposition de l’engrais vert et la croissance de la culture. Le modèle que nous avons calibré peut aider à faire une telle évaluation in silico.
La perte de production de nourriture due à la production de l’engrais vert pourrait être compensée en partie en cultivant une légumineuse à graines qui fournit de la nourriture à l’agriculteur (par exemple l’arachide) avec l’engrais vert. Des expériences en Afrique australe sont actuellement consacrées à l’évaluation de ces rotations de légumineuses « doubles ».
Mais il faudrait s’assurer d’un marché existant pour ces productions et d’un prix suffisamment rémunérateur. Enfin, la culture de légumineuses à double usage (produisant à la fois des grains et du fourrage) pourrait constituer un des éléments nécessaires au compromis à trouver pour améliorer la fertilité des sols et apporter du fourrage.
Le temps presse mais nous sommes convaincus qu’un changement peut intervenir rapidement pour transformer le système actuel de céréaliculture vers une plus grande productivité et durabilité. Les solutions, comme les engrais verts, existent, mais les vulgarisateurs, les chercheurs, les acteurs de la chaîne de valeur et les décideurs doivent aider les agriculteurs à investir dans ces techniques qui maximiseront à court terme la production, mais seront plus durables à long terme.
Ces dernières décennies ont vu émerger de nombreux chercheurs africains talentueux. C’est désormais aux dirigeants qu’il revient de prendre les décisions.
Lalaina Ranaivoson, Chercheure en agronomie, Cirad; Aude Ripoche, Chercheure en agronomie du système de culture et modélisatrice, Cirad; François Affholder, Principal Investigator in Agro-ecology and sustainable intensification research unit, Cirad; Gatien Falconnier, Écologue agronome, Cirad, and Louise Leroux, PhD, Remote sensing scientist, Cirad
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.