Vols, surfacturations, corruption… Les ministères africains du Pétrole sont régulièrement mis en cause. Les Etats ne toucheraient qu’une partie des recettes de brut. Au grand dam des populations.
C’était une première en Algérie. En août 2013, Chakib Khelil, ex-PDG de la Sonatrach, qui assure 95% des exportations d’hydrocarbures du pays, et ancien ministre de l’Energie était visé par un mandat d’arrêt international, accusé d’« abus de pouvoir et constitution de bandes criminelles ». Plus récemment, le 11 août dernier, le bureau anticorruption du Malawi a annoncé la mise aux arrêts du ministre de l’Energie, Newton Kambala, et de plusieurs conseillers suite à des soupçons de corruption. Le ministre avait tenté d’avantager plusieurs fournisseurs. Des affaires loin d’être uniques en Afrique : dans la plupart des pays à forte rente pétrolière, les scandales sont légion. Du forage jusqu’à l’exportation de brut, chaque poste lié au pétrole est sujet à des détournements.
Des détournements qui amènent bien souvent les capitaux du pétrole dans des paradis fiscaux. Les ministères du Pétrole sont de tels nids de guêpes que certains présidents préfèrent éviter de laisser ce portefeuille à quiconque. C’est le cas de Muhammadu Buhari. Le Nigérian s’est en effet octroyé le poste de ministre fédéral chargé du Pétrole et des Ressources naturelles moins de six mois après son arrivée à la présidence de la République, avant de choisir un ministre qu’il a ensuite… limogé. A ce poste, c’est la valse des ministres.
4 à 20 % de pertes annuelles
Ce 16 août, le président du Nigéria a adopté une loi qui prévoit notamment une fiscalité plus encadrée et une meilleure redistribution des richesses dans le secteur pétrolier. Une promesse que le chef de l’Etat avait promise alors qu’il venait d’être élu. Depuis 2008, soit sept ans avant le début du premier mandat de Buhari, ce texte avait été discuté maintes fois au parlement. Et il devenait pressant qu’il soit enfin voté. Le Nigéria a toujours été considéré comme l’un des hauts-lieux de la corruption pétrolière. Dans les années 1970, avec le boom pétrolier, de nombreux détournements de fonds ont été dénoncés, et ce qu’importaient les régimes, civils ou militaires. Rien qu’entre 1979 et 1983, le pays aurait perdu 16 milliards de dollars, selon les calculs de Tam David-West, ministre du pétrole jusqu’au milieu des années 1980. Une somme colossale, représentant 20 % du total des revenus pétroliers. Chaque année, depuis les années 1990, le Nigéria perdrait au moins 4 % de ses revenus pétroliers.
Des détournements qui trouvent plusieurs explications : la petite et la grande fraudes d’un côté, des surfacturations des contrats et les pots-de-vin de fonctionnaires, mais également les vols de pétrole de la part des agents de la NNPC, la Compagnie nationale des pétroles. Il faut dire qu’après les chaque coup d’Etat militaire, les comptes de la NNPC étaient rendus encore plus opaques. Une autre étude, celle-ci à propos du Trésor public entre 1988 et 1994, montre que plus de 12 milliards de dollars s’étaient volatilisés. Et au plus le prix du baril était haut, plus les détournements était colossaux.
Des vols, du forage à l’exportation
Dans une étude de l’Institut français des relations internationales (Ifri), le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos écrit que « le détournement de la manne pétrolière commence en fait au point zéro de l’extraction, lorsque des mafias bien organisées viennent près des puits percer les pipelines pour en extraire le brut et le transférer dans des barges ». Mais, poursuit l’auteur de l’étude, ce vol est désormais pris en compte par l’industrie pétrolière. Là où le vol de plus grande ampleur commence, c’est au moment de la signature de contrats frauduleux, mais également en ce qui concerne des multiples facturations, des emplois fictifs ou encore le « racket de protection ». Sans oublier la contrebande à l’exportation, qui reste un marché énorme.
Si, relativement aux chiffres du secteur pétrolier, les détournements peuvent sembler quasi anecdotiques, force est de constater que la plupart des pays riches en pétrole souffrent d’un faible développement socio‑économique. L’Angola en est un exemple parmi d’autres, mais certainement l’un des plus représentatifs : le pays est en effet le deuxième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne. La majorité du PIB est représentée par les recettes pétrolières, le pétrole représentant également 94 % des exportations. Malgré tout, la situation est fragile : « La plupart des Angolais ont peu accès aux soins de santé de base et l’espérance de vie à la naissance ne dépasse pas les 41 ans. Le faible impact sur le développement de la croissance issue du pétrole reflète en partie le peu d’efforts politiques déployés pour aborder la question de la distribution des richesses », résume U4, un centre de ressources anticorruption norvégien, qui pointe le manque de transparence des autorités angolaises.
Une « malédiction des ressources » ?
L’ONG y voit une « malédiction des ressources » et demande, donc, plus de transparence. Mais existe-t-il une réelle volonté de changer les choses ? « Les ventes de pétrole brut par les gouvernements et leurs compagnies pétrolières nationales (CPN) sont l’un des aspects les moins étudiés de la gouvernance du secteur pétrolier », déplorent les trois chercheurs suisses Alexandra Gillies, Marc Guéniat et Lorenz Kummer. Dans un rapport, ils ont étudié des centaines de transactions qui « ont échappé à toute surveillance, suite aux pratiques peu transparentes adoptées par ces firmes et à la faiblesse des réglementations ».
Au-delà de l’Afrique, c’est tout un secteur pétrolier qui reste opaque. « Pour que la richesse pétrolière engendre des gains en termes de développement, des progrès doivent être réalisés sur plusieurs fronts, à la fois dans les pays producteurs et dans les pays où sont basées les sociétés de négoce, comme la Suisse », affirment les trois chercheurs qui concluent que la majorité des ventes « ont lieu dans des environnements caractérisés par des taux de corruption élevés et des institutions faibles, mais qui ont un besoin urgent de financement pour leurs programmes de développement ».
Une opacité dans laquelle les gouvernements semblent se complaire. Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, en 2016, publiait un rapport dans lequel il déplorait les intimidations faites envers les journalistes et lanceurs d’alertes, de la part des dirigeants africains. Dernier exemple en date au Togo : Ferdinand Ayité, directeur de publication du magazine d’investigation L’Alternative, avait enquêté sur des faits de corruption au sein du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers — un organe qui concerne cette fois l’importation de brut. Le journaliste avait été arrêté.