Alors que les stocks de céréales diminuent rapidement en raison du conflit en Ukraine, dans la Corne de l’Afrique et en Afrique du Nord, les pénuries alimentaires inquiètent. L’Europe craint une « vague migratoire » importante.
Les scènes sont devenues fréquentes dans plusieurs enseignes tunisiennes : la farine et le riz ont disparu des étals et, désormais, ces denrées devenues rares se vendent sous le manteau. Des scènes que l’on voit un peu partout sur le continent.
Lundi dernier, le Commissaire européen aux affaires économiques, Paolo Gentiloni, déclarait que le conflit entre l’Ukraine et la Russie allait avoir des « conséquences dramatiques sur les pays africains dépendants des importations de céréales ». « Ce ne sera pas un problème en Europe, où le souci est surtout l’inflation, plutôt que les faibles disponibilités », précise le diplomate.
De quoi mettre à nu les limites du système économique globalisé. Un système dans lequel l’Afrique fera les frais d’une guerre, dont elle n’est pourtant ni instigatrice ni partie prenante.
Dans la Corne de l’Afrique, la sécheresse avait déjà fait des ravages, après trois ans sans une saison des pluies digne de ce nom. Aujourd’hui, on compte 292 000 têtes de bétail détruites, rien qu’en janvier. Des pays comme l’Ethiopie et la Somalie, dépendants à plus de 70 % des produits alimentaires importés de Russie et d’Ukraine, meurent de faim sous le regard cynique de la « communauté internationale ».
Dans tous les pays d’Afrique du Nord, ainsi qu’au Burkina Faso, en République démocratique du Congo (RDC) ou encore au Soudan, de probables « émeutes de la faim » risquent de déstabiliser les régimes en place.
De quoi rappeler également le constat de l’économiste français Charles Gave, qui rappelait récemment que, à « chaque fois que le prix du blé montait dans l’Histoire, il y a eu des révolutions en Afrique du Nord ».
Faim et cynisme occidental
La militante politique française Lydia Guirous prévient : « Oui, on peut se rassurer en France en se disant que nous ne mangeons qu’un tiers de nos céréales. Et il n’y aura pas de problème de pénurie pour nous… Mais la faim en Afrique du Nord s’accompagnera inévitablement de flux migratoires incontrôlables et là que ferons-nous ? Comment réagira la société française ? Nul ne le sait mais surtout ne faisons pas la politique de l’autruche et anticipons ! ».
L’édito de @LydiaGuirous : Guerre en #Ukraine
🗣”La faim va donc s’installer en Égypte, mais aussi en Algérie, au Maroc, en Tunisie. La faim, son lot de conflits sociaux, d’émeutes, de déstabilisations politique et une vague migratoire à venir…”
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— Sud Radio (@SudRadio) March 22, 2022
Un discours pas vraiment humanitaire. La militante de droite estime en effet qu’une famine en Afrique aurait des conséquences migratoires irréversibles. Un cynisme peu surprenant, qui trouve écho dans les médias occidentaux au fur et à mesure que la crise alimentaire provoquée par le conflit entre l’Ukraine et la Russie s’intensifie.
A quoi est due cette pénurie des céréales ? Elle est tout simplement provoquée par l’arrêt de la production ukrainienne, mais également par l’interdiction directe et indirecte des exportations russes. Et sur ce plan, les pays africains, même les plus touchés par la pénurie des céréales, semblent paralysés et dépourvus de solutions.
Alors, si les pays européens craignent surtout la hausse de l’immigration, du côté de l’Afrique, c’est une catastrophe humanitaire qui se présage, ainsi qu’une grogne sociale qui risque d’avoir des conséquences politiques.
Mais avec 14 % du blé mondial, et plus de 40 % des exportations, c’est de l’Ukraine et la Russie qu’il s’agit. Lorsque Lydia Guirous estime qu’il ne reste que « 5 mois de stock de céréales à l’échelle mondiale », la crise en Afrique, elle, semble être plus immédiate encore.
Les dirigeants africains impuissants ?
La solution la plus évidente pour parer à cette crise, provoquée par une guerre, serait-elle la paix ? Si tel est le cas, force est de constater que les dirigeants africains en font peu pour promouvoir cette paix indirectement vitale pour les peuples du continent.
Les pays africains les plus concernés par la pénurie de céréales ont tous condamné la Russie à la tribune onusienne. Depuis… plus rien. Aucun dirigeant africain, chef d’Etat ou Premier ministre n’a rencontré la diplomatie ukrainienne ou les dirigeants russes pour proposer des solutions.
Pourtant, beaucoup de pays africains ayant préféré la neutralité à l’ONU ont la crédibilité et le capital diplomatique pour lancer des pourparlers ou, au moins, y participer d’un côté ou de l’autre.
Par exemple, le Kenya et la Somalie entretiennent des rapports solides avec l’Ukraine, de même que l’Ouganda et l’Angola avec la Russie. Sans oublier, évidemment, le poids diplomatique qu’aurait un voyage de Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud) ou de Macky Sall (Sénégal).
Même les dirigeants africains les plus expérimentés en géopolitique, comme le Congolais Denis Sassou N’Guesso ou son voisin Félix Tshisekedi semblent être aux abonnés absent dans ce dossier.
Outre une apathie contre-nature, l’Afrique se contente d’observer, impuissante, les conséquences de ce conflit sur son économie et sa stabilité.
Des prix qui grimpent en flèche
Du côté des ONG, le silence est assourdissant. L’illustre Oxfam, par exemple, s’est contentée d’exhorter « les donateurs » à « combler d’urgence le déficit de financement de l’appel humanitaire des Nations unies et de faire parvenir les fonds le plus rapidement possible aux organisations humanitaires locales ». « Les pays d’Afrique de l’Est sont dépendants, pour certains, de l’Ukraine et de la Russie, jusqu’à 90 % de leurs importations de blé », rappelle l’ONG britannique.
Mais de quels donateurs parle-t-on ? Et de quel appel des Nations unies ? Pendant ce temps, poursuit l’organisation, 21 millions de personnes risquent la famine extrême, rien que dans la Corne de l’Afrique.
Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré : « Nous devons faire tout notre possible pour éviter un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial. Cette guerre affectera, autrement, d’abord les plus pauvres, et sèmera les germes de l’instabilité politique dans le monde entier ».
Le patron de l’ONU rappelle, également, que le prix des denrées alimentaires, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), aurait déjà « dépassé ceux du début du printemps arabe et de la crise alimentaire de 2007-2008 ».