Alors qu’Ankara tente de consolider ses liens avec l’Afrique, un homme d’affaires turc controversé, Oktay Ercan, sillonne le continent pour tenter d’obtenir des contrats, souvent de façon illégale, comme ce fut le cas au Soudan.
Sur le site de l’une de ses entreprises, il est on ne peut plus clair : « Avec l’approbation du Président de la République soudanaise, SUR International Investment Company Ltd. a été reconnue comme société stratégique depuis novembre 2015 ». Oktay Ercan symbolise à lui seul les largesses accordées à des hommes d’affaires par l’ex-dictateur soudanais Omar el-Bechir. Egalement actionnaire de Barer Holding, l’homme d’affaires turc a profité de son réseau pour s’approcher au plus près du régime el-Bechir. Mais quatre ans plus tard, Ercan a été rattrapé par ses compromissions. Le journal égyptien Al-Ahram raconte comment, en décembre 2019, le parquet soudanais a accusé le Turc d’avoir détourné 70 millions de dollars, provenant d’un prêt de 120 millions de dollars accordé par la Banque islamique de développement. Ercan aurait alors surfacturé le matériel acheté par son entreprise, après avoir remporté une appel d’offres truqué lui ayant permis d’obtenir le monopole de l’importation d’uniformes pour l’armée soudanaise. Oktay Ercan a également, indique le journal égyptien, obtenu une licence pour commercialiser 60 % du coton soudanais.
Oktay Ercan, persona non grata au Soudan
L’épisode soudanais est loin d’être anecdotique : Oktay Ercan « fait face à des accusations de corruption au Soudan pour d’autres transactions illicites dans le domaine du pétrole et des minéraux », indique Al-Ahram. Il faut dire que, parti du textile, Ercan a mené une politique très offensive au Soudan, allant jusqu’à louer au ministère soudanais de l’électricité les six générateurs qui alimentent Khartoum ou encore à tenter d’obtenir des participations dans les mines d’or du Tibesti. Preuve qu’Ercan était très proche d’Omar el-Bechir : le dictateur avait octroyé la nationalité soudanaise à l’homme d’affaires. Oktay Shaban Hosni Ali, comme indiqué sur son passeport soudanais, a beau être persona non grata au Soudan, il n’a pas fait une croix sur l’Afrique. L’homme d’affaires turc s’est fixé pour objectif de fournir les armées ouest-africaines et d’écarter les groupes français MagForce International et Marck de ces marchés très lucratifs. Mais son atout — être associé avec le ministère qatarien de la Défense — n’en est plus un : du côté de Doha, on s’éloigne petit à petit de cet homme d’affaires jugé toxique.
Le travail de Nur Sagman sapé ?
« Partout où il passe, il donne une très mauvaise image de la Turquie en Afrique, résume un ancien diplomate turc toujours présent sur le continent, sapant ainsi la feuille de route de Nur Sagman ». Cette dernière est devenue la « Madame Afrique » de Recep Tayyip Erdoğan. La directrice générale du département Afrique subsaharienne du ministère turc des Affaires étrangères sait-elle tout des actions menées par Oktay Ercan ? « Ercan est une personnage rustre, hautain et qui agit en toute impunité, affirme un de ses anciens collaborateurs. Il agit tel un loup solitaire avec un seul objectif : gagner de l’argent, et ce de n’importe quelle manière. Mais ses différentes incursions en Afrique sont restées vaines ». Il faut dire que la réputation du Turc le précède : accusé d’avoir aidé Carlos Ghosn, l’ex-patron de Renault, à fuir le Japon en prêtant son Bombardier Challenger 300, Oktay Ercan ne flirte pas avec la légalité. Il l’enjambe. « Aujourd’hui, il est lâché par ses anciens partenaires, on a l’impression qu’il joue son va-tout pour tenter de sauver la face, affirme l’ancien proche de l’homme d’affaires. Mais en Afrique, les responsables commencent à comprendre à qui ils ont affaire ».