Plusieurs études montrent que l’image véhiculée par les médias africains est basée sur les stéréotypes. L’ONG Africa No Filter invite les Africains à se réapproprier leur storytelling.
L’Afrique se raconte des histoires… mais pas les siennes ! C’est le constat d’Africa No Filter, une ONG qui déplore l’existence de récits « nuisibles » à l’Afrique dans les différents médias. Ces « récits stéréotypés sur l’Afrique » ne sont pas en phase avec la réalité d’aujourd’hui, estime l’organisation qui veut que le continent soit vu comme ce qu’il est vraiment : « progressiste et dynamique ». Pour appuyer son discours, Africa No Filter a lancé une grande étude qui vise à comprendre « pourquoi l’histoire de l’Afrique continue d’être issue de stéréotypes négatifs ». Et le constat est sans appel : les médias, même africains, s’appuient sur un storytelling écrit à des milliers de kilomètres de là, sans que la réalité du terrain soit mise en avant.
« L’image d’une Afrique divisée, dépendante et qui ne s’engage pas »
En effet, indique l’étude d’Africa No Filter, « un tiers des informations publiées par les médias africains proviennent d’agences de presse étrangères ». Comprenez européennes pour la majorité d’entre elles. « Malgré des années d’indépendance, ce ne sont toujours pas les Africains qui tiennent la plume lorsqu’il s’agit d’écrire les histoires qui les concernent », résume Moky Makura, directrice générale de l’ONG. Pire, les médias continentaux, en publiant des articles écrits par des non-Africains, participent à donner une image déplorable du continent. « Au travers des articles que nous partageons dans nos médias, nous continuons à colporter l’image d’une Afrique divisée, dépendante et qui ne s’engage pas », indique Moky Makura.
Pour en arriver à ces conclusions, l’ONG a interrogé 38 éditeurs dans une quinzaine de pays africains, mais a également analysé le contenu de 60 médias pendant trois semaines. Des correspondants et rédacteurs en chef ont également été questionnés sur leurs pratiques. Il s’avère, conclut le rapport de l’ONG, que l’AFP et la BBC sont les principaux fournisseurs d’informations — un quart des articles publiés dans les médias africains — et que les agences africaines sont peu sollicitées. Une donnée problématique lorsqu’on sait que la grande majorité des articles écrits de Paris ou Londres concernent la politique et les conflits armés. « Il faut que nous reprenions la plume », propose Moky Makura, comme solution.
Un storytelling néfaste pour la migration, la créativité et l’innovation
Car la rédaction d’articles par des agences de presse européennes pose un véritable souci. En 2019, des chercheurs de l’Université de Stanford avaient estimé que cela donnait lieu à une information « partiale, eurocentrée et insuffisante ». La faute à une erreur d’analyse : les médias étrangers ont tendance à voir l’Afrique comme un continent homogène. Pour Toussaint Nothias, chargé de cours au Centre d’études africaine à l’Université de Stanford et auteur de « How Western Journalists Actually Write About Africa », l’image de l’Afrique dans les médias étrangers est globalement négative… si tant est qu’elle intéresse les journalistes. Car selon lui, à peine 3 % de la couverture internationale se rapporte à l’Afrique, dans les magazines et journaux européens. Et lorsqu’il est question d’Afrique, les termes d’« instabilité sociale et politique », de « violence et mort » et de « corruption » priment sur le reste. Une négativité qui donne une image déplorable de l’Afrique dans les médias.
Alors, lorsque les médias africains reprennent l’AFP ou la BBC, les retombées peuvent être plus graves que prévu. Surtout si les patrons de presse ne s’en rendent pas compte… « Paradoxalement, 50 % des rédacteurs en chef interrogés estiment que leur couverture des pays africains autres que le leur ne contient pas de stéréotypes », s’étonne Africa No Filter qui estime « que nous devons faire de gros efforts pour nous auto-éduquer et changer le rôle que nous jouons dans la perpétuation de stéréotypes dépassés sur nous‑mêmes ». Autrement dit, il ne tient qu’aux Africains de reprendre en main leur storytelling. Et c’est loin d’être un détail… « Les récits ont une grande importance et leur influence va au-delà de la simple narration, assure Moky Makura. Ils ont un impact sur l’investissement en Afrique, sur la jeunesse et les opportunités que les personnes perçoivent dans leurs pays, sur la migration, la créativité et l’innovation ».