Le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah et l’homme fort de l’Est Khalifa Haftar ont fini leurs pourparlers concernant la crise pétrolière. A la place de Mustafa Sanallah, c’est l’ancien banquier du régime Kadhafi, Farhat Bengdara, qui sera le directeur de la compagnie libyenne de pétrole, la National Oil Corporation (NOC).
A cause de la mésentente entre celui qui est désormais l’ancien président de la National Oil Corporation (NOC), Mustafa Sanallah, et le ministre du Pétrole Mohamed Aoun, voilà plusieurs mois que les revenus pétroliers — et la production de pétrole de la Libye — sont bloqués.
En effet, Sanallah se plaçait dans le camp du Premier ministre récemment nommé Fathi Bachagha, et était ouvertement appuyé par l’ambassadeur sortant des Etats-Unis, Richard Norland.
Depuis le soulèvement populaire du 1er juillet, le Premier ministre en poste Abdel Hamid Dbeibah a entamé des pourparlers avec le dirigeant militaire de l’Est libyen Khalifa Haftar. Africa Intelligence révélait alors que Dbeibah cherchait surtout le soutien de Haftar pour conserver son siège. Dbeibah a proposé à Haftar « de le laisser choisir le prochain patron de la compagnie pétrolière nationale ».
Résultat, mercredi, Dbeibah a limogé Sanallah. Et ce jeudi, le nouveau patron de la NOC, Farhat Bengdara, a pris le contrôle du siège de la compagnie pétrolière. Dans un communiqué de presse, Farhat Bengdara a révélé qu’il bénéficiait d’un « consensus entre toutes les parties nationales et internationales », qui seraient « d’accord sur l’importance de protéger le secteur (du pétrole, ndlr) de la lutte politique ».
Position américaine incertaine
Interrogé sur un potentiel véto américain sur sa nomination, Farhat Bengdara a déclaré : « Ces préoccupations ont reçu une réponse et tout a été clarifié avec les partenaires étrangers, y compris la France. J’ai aussi des contacts avec la mission diplomatique américaine ».
Mais, de son côté, l’ambassadeur américain, dont le remplacement est déjà prévu, a défendu Sanallah. « La NOC, qui est vitale à la stabilité et prospérité de la Libye, était politiquement indépendante sous le leadership de Mustafa Sanallah », a tweeté Richard Norland. Et de continuer : « Les leaders libyens de tous les côtés reconnaitront-ils que ces développements démontrent le besoin urgent de la volonté politique de faire des compromis, et préparer immédiatement la réconciliation et les élections ? ».
Il n’est donc pas évident de savoir si Farhat Bengdara a bel et bien le soutien des Américains. En tout cas, sur le plan national, le nouveau « Monsieur pétrole » libyen est protégé non seulement par le gouvernement de Dbeibah, mais très probablement par l’ANL de Khalifa Haftar également.
De surcroît, afin d’éviter toute résistance au sein de la NOC, Farhat Bengdara a promis de grandes augmentations de salaires. Quant à l’opinion publique, il a révélé que « le cash que Kadhafi a détourné de la Banque centrale libyenne a été placé dans des conteneurs et enterré dans le désert ».
« Coup d’Etat pétrolier »
Cette dernière déclaration, elle, change la donne. En effet, alors que les revenus du pétrole libyen étaient bloqués par les Etats-Unis, Abdel Hamid Dbeibah comptait surtout sur les fonds qu’il a récupérés à l’étranger. Une partie négligeable de la fortune de Mouammar Kadhafi, qui était largement suffisante à Dbeibah pour se maintenir au pouvoir jusqu’à aujourd’hui.
Mais si la fortune de l’ancien « Guide de la Révolution » est difficile à estimer, il est certain que malgré tous ses comptes offshore, Mouammar Kadhafi en gardait une bonne partie en liquide. Ce qui l’avait d’ailleurs aidé à financer plusieurs projets en Afrique subsaharienne, de financer des campagnes électorales, ou encore des coups d’Etat à l’étranger…
Entre 2006 et 2011, Farhat Bengdara était, justement, le gardien de ces secrets. Gouverneur de la Banque Centrale de Libye (CBL), il était impossible que des fonds soient tirés des caisses de l’Etat sans son approbation.
Ce qui est certain, c’est que si Haftar et Dbeibah font confiance à Farhat Bengdara, il est impossible que ce dernier soit sous le contrôle exclusif de l’un des deux. Et s’il est, en plus, prêt à tenir tête aux Etats-Unis, en plus de révéler les positions du butin de Kadhafi, Farhat Bengdara doit être certain d’être protégé, et adoubé par — au moins — une partie de la famille Kadhafi.
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Une seule chose est certaine, c’est qu’en une journée, deux champs pétroliers ont repris leurs activités en Libye. Si Farhat Bengdara se montre à la hauteur de la tâche, et que la production pétrolière reprend, il y a de fortes chances que l’Occident soit contraint de tolérer ce « coup d’Etat pétrolier ».