Chantre de la Françafrique, le Centrafricain Jean-Bedel Bokassa a fait régner la terreur, tout en menant une vie fastueuse et démesurée.
« J’ai fait les choses comme Napoléon… En grand ! » Lorsque Jean-Bedel Bokassa faisait le bilan de son règne centrafricain, qui dura treize ans, il aimait se comparer à l’empereur Napoléon Ier. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dix ans après être devenu le deuxième président de la République centrafricaine, Bokassa s’est autoproclamé empereur. Il aimait arborer, sur sa tête, la même couronne que Napoléon. Sous les yeux ébahis du ministre français de la Coopération, Robert Galley et par le « Monsieur Afrique » de Valéry Giscard d’Estaing, René Journiac, Bokassa organise le 4 décembre 1977 une cérémonie de sacre. Ce jour-là, le faste se mêle à l’absurde : alors que la population centrafricaine subit de plein fouet une crise économique, le nouvel empereur fait couler le vin et le champagne à flot : 40 000 bouteilles de grands crus de vin et 24 000 bouteilles de champagne sont prévues pour cette fête grandiose. Au total, la fête aura coûté plus de trois fois le déficit de l’Etat, estimé à 2 milliards de francs CFA.
Agressions, meurtres, torture et cannibalisme
L’ancien caporal, au moment de répondre à des journalistes, s’était justifié ainsi : « On ne peut pas créer une grande histoire sans sacrifices ». Des sacrifices, il y en a eu tout au long de l’épopée de Bokassa. Dans un article publié en 1996, Le Monde déplore le spectacle donné par le couronnement de l’Empereur. A l’époque, « sa célébrité de mauvais aloi n’a d’égale que celle du maréchal Amin Dada, le tyran ougandais », décrit le journal. Car le faste de la cérémonie n’a pas fait oublier ce dont était capable Jean-Bedel Bokassa : des arrestations, des détentions arbitraires et bien sûr des actes de torture ont émaillé le règne de Bokassa Ier. En décembre 1980, alors qu’il s’est exilé en Côte d’Ivoire avant de rallier Paris, qui l’a toujours protégé, le tyran centrafricain écope d’une condamnation à mort par contumace, après avoir été accusé du meurtre de plusieurs opposants politiques. Une condamnation qui sera annulée après son retour au pays. Mais les charges qui pèsent contre Bokassa sont diverses et variées : trahison, agressions, détournements de fonds ou encore… cannibalisme.
Sa relation avec la France, Bokassa l’a tout aussi aimée que détestée. Car si Paris a tout fait pour lui organiser un sacre à la mesure de ses ambitions, grâce à l’aide de Valéry Giscard d’Estaing, son ami, la France a également été derrière sa chute. Cette accusation de cannibalisme est d’ailleurs venue des plus hautes personnalités du gouvernement français qui s’étaient, un temps, assis à sa table. Bokassa avait d’ailleurs obtenu la Légion d’honneur, pour ses services rendus au sein de l’armée française. Mais Paris ne put rien quand l’ex-putschiste dut répondre de ses actes devant la justice. Il faut dire que Bokassa avait la vengeance facile. « Ses ministres, ses enfants, des opposants, des journalistes ou des diplomates en firent tour à tour les frais. Des coups de canne à l’assassinat, Bokassa usa, tout au long de son règne, d’une gamme variée de répression », résume Libération, le quotidien français, lors de la mort de l’Empereur en novembre 1996. Paris était bien évidemment au courant de la tyrannie que Bokassa faisait régner. Il n’était alors pas question de faire tomber celui qui était le « garde-chasse privé de la République française », selon les termes d’Alexandre de Marenches, ex-patron des services secrets.
La vengeance contre Valéry Giscard d’Estaing
Sanguinaire, Bokassa l’était assurément. Mais était-il pris au sérieux ? En son pays, grâce à des cours du coton toujours avantageux, l’Empereur a pu réaliser certains projets pour son peuple : un aéroport, un hôpital ou encore un stade. Des routes également. Mais ses délires narcissiques l’ont aussi conduit à ériger des arcs de triomphe ou des statues à son effigie. A l’étranger, Bokassa était perçu comme un caractériel, qui avait parfois les mots qui dépassaient la pensée. Comme lorsque, neuf mois avant d’être éconduit du pouvoir, il avait menacé Giscard d’Estaing de le déposer en cas de coup d’Etat manigancé par la France à Bangui. « J’en ai les moyens », assurait-il. S’il n’avait pas été pris au sérieux par la France à l’époque, c’est pourtant Bokassa qui, de son exil ivoirien, fera tomber VGE dans l’affaire des diamants, en révélant à des journalistes français les cadeaux offerts au président de la France. Après avoir purgé finalement sept années de prison, Jean-Bedel Bokassa voulait se consacrer à la religion. De quoi l’apaiser, sans pour autant perdre son esprit provocateur. Avant de mourir, l’Empereur déchu avait assuré : « Je suis devenu bon. Comme Jésus, qui avait beaucoup d’ennemis, j’ai décidé de pardonner ».