Ce 7 août, la Côte d’Ivoire fête les 61 ans de son indépendance. Que reste-t-il de l’héritage du père de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny ?
Le 7 août 1960, la Côte d’Ivoire, alors devenue autonome dans le cadre de la loi Defferre, devient indépendante sous l’égide du Premier ministre Félix Houphouët-Boigny. Ce dernier deviendra, trois mois plus tard, le premier président du pays. L’homme d’Etat africain est une énigme : défenseur du projet de l’ancienne puissance coloniale française en Afrique, « Houphouët » sera le fer de lance de la fin de la colonisation en Côte d’Ivoire. Loin d’être un révolutionnaire ou un défenseur de l’unité africaine, ses trente-tois ans à la tête du pays ont divisé. Les partisans du leader évoquent un « miracle ivoirien », quand ses opposant déplorent un suivisme assumé.
Qu’importe ce que l’on pense de lui : Houphouët-Boigny était l’un des rares leaders d’Afrique subsaharienne adeptes du capitalisme. Bien loin des Sankara, Lumumba et autres révolutionnaires africains, le président ivoirien a pu accomplir son dessein politique et devenir une figure populaire dans son pays, où les dirigeants actuels continuent de se réclamer de son héritage. Félix Houphouët-Boigny assurait, en 1976, faire « du capitalisme d’État », pendant que le projet d’Union africaine avançait en parallèle. Un choix politique, et philosophique, qui a fait du chef de l’Etat un homme un peu à part sur le continent.
Trois ans avant l’indépendance, dans le cadre d’une rencontre avec le futur président du Ghana, Kwame Nkrumah, Houphouët-Boigny expliquera sa vision des choses. Pour lui, son pays devait être un des éléments clés de la « Françafrique ». Au discours de Nkrumah, il répondit sans animosité, mais avec conviction : « Votre expérience est fort séduisante (…) mais compte tenu de l’impératif du siècle et de l’interdépendance des peuples, nous estimons plus intéressante une expérience différente de la vôtre ». Une expérience que Houphouët-Boigny qualifiera lui-même d’« unique en son genre, celle d’une communauté franco-africaine à base d’égalité et de fraternité ».
La dictature à l’ivoirienne
La « dictature soft » de Félix Houphouët-Boigny a été facilitée par une absence d’opposition et par sa grande admiration pour l’Occident. Il était le plus grand défenseur de la Françafrique, certes, mais le modèle institutionnel qu’il créa n’avait rien à voir avec le modèle européen. La deuxième Constitution ivoirienne de 1960 limitait le pouvoir du Parlement. Il instaura un système présidentiel pour asseoir son pouvoir et celui de son parti unique, le parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Un système qui ne plaisait pas forcément à ses homologues d’Afrique.
Le plus grand défi auquel fit face l’Etat ivoirien dans les années 1960 fut d’ailleurs son isolement en Afrique. Le courant marxiste-léniniste qui dominait la scène politique continentale et les rapports diplomatiques africains d’alors ne s’étaient pas implantés jusqu’en Côte d’Ivoire. Pendant les six premières années qui ont suivi l’indépendance, Houphouët réprimait systématiquement le socialisme politique, jusqu’à emprisonner Jean-Baptiste Mockey et des centaines de ses partisans. Après les avoir libérés en 1967, il mit à genoux un autre mouvement d’opposition, le Mouvement éburnéen. Ce dernier aurait subi 4 000 assassinats dans ses rangs avant de s’éteindre au début des années 1970.
Félix Houphouët-Boigny s’appuyait alors sur les troupes françaises stationnées en Côte d’Ivoire, mais également sur ses conseillers français, qui discutaient avec lui d’économie et de diplomatie internationale. Le chef de l’administration et du cabinet du président, le Martiniquais Guy Nairay, a eu une carrière aussi longue que celle d’Houphouët-Boigny. De même, son amitié avec le secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines, Jacques Foccart, mettait en relief son attachement au gaullisme.
L’isolement de la Côte d’Ivoire
Si Félix Houphouët-Boigny n’a jamais eu à subir de coup d’Etat, ce n’est pas seulement grâce à l’appui français. Le conseil de l’Entente qu’il créa avec le Niger, le Bénin et la Haute-Volta en 1959 était une vraie menace au projet panafricain des autres pays d’Afrique subsaharienne. Ainsi, par crainte ou par résignation, l’Afrique laissa Houphouët-Boigny conduire le projet néocolonialiste sans résistance aucune.
C’est en Côte d’Ivoire qu’est née l’opposition qui a le plus déstabilisé le régime Houphouët-Boigny. Le climat politique, qui règne encore en Côte d’Ivoire, est en effet né à la fin des années 1970. Si Alassane Ouattara et Henri Konan-Bédié présidaient le gouvernement et le parlement dans les années 1980, Laurent Gbagbo, égal à lui-même, dirigeait alors la faction estudiantine syndicaliste.
Entre 1982 et 1984, la quiétude de Félix Houphouët-Boigny est ébranlée à tout jamais. Le père de la Côte d’Ivoire tombe malade et les tiraillements entre les trois éléphants de la politique ivoirienne débutent. Laurent Gbagbo dirige alors la vague de protestation dans le pays, et une jeunesse socialiste qui désirait en finir avec l’entrisme français. Son réseau s’étendait jusqu’à la diaspora ivoirienne. Gbagbo était alors un chef influent auprès des jeunes Ivoiriens. Alassane Ouattara, quant à lui, préférait mener à terme la politique de Félix Houphouët-Boigny et restait dans son ombre, espérant devenir l’héritier du Père de la Nation. Quant à HKB, il consolidait son emprise sur le PDCI en vue, lui aussi, d’être le successeur naturel d’Houphouët-Boigny.
La succession de Félix Houphouët-Boigny
La fin de la Guerre froide sonna le glas du « miracle ivoirien » de Félix Houphouët-Boigny. Les années 1970 ont signifié le début de la chute d’un libéralisme économique et d’une dépendance de la France qui ne tenaient plus la route. La chute des cours du café et du cacao fut accompagnée de la fin de la toute-puissance de Félix Houphouët-Boigny, dont la popularité baissait mois après mois. Les tensions sociales se multiplièrent en Côte d’Ivoire, le taux de pauvreté passant de 11% en 1985 à 31 % en 1993. Et le retour d’exil de Laurent Gbagbo donna lieu à la première élection difficile pour Félix Houphouët-Boigny, qui avait enfin un concurrent digne de ce nom. En 1990, le Front Populaire Ivoirien, passé de la clandestinité à la légalité, a obtenu 19 % des suffrages. La même année, la mutinerie de l’armée et les manifestations et émeutes contre Félix Houphouët-Boigny donnèrent lieu à un nouveau schéma politique.
En phase terminale d’un cancer, Félix Houphouët-Boigny choisit entre ses deux protégés, Ouattara et Bédié, pour lui succéder à la tête du pays. Le PDCI penchait pour HKB, mais il fallut attendre la mort d’Houphouët-Boigny à la fin de l’année 1993 pour que le « Sphinx de Daoukro » prenne la tête du pays. Le vrai pouvoir en Côte d’Ivoire était cependant miné par les ingérences. De François Mitterrand à Jacques Chirac, les présidents français avaient toujours placé leurs hommes dans l’administration ivoirienne. Entre 1993 et 2010, HKB et Gbagbo se sont succédés à la tête du pays. En 2011, la France participa au départ forcé de Laurent Gbagbo pour soutenir Ouattara.
Côcôti Kouadio comme paroles , le choix des couleurs, Houphouët en plein milieu de la carte de la Côte d'ivoire, le cadre du président sur un plateau télé…Beaucoup de questions.
On cherche pas à comprendre, on danse seulement. Bonne fête de l'indépendance 🇨🇮 pic.twitter.com/tjVwyx8XoI
— Petit Potam (@eben_yao26) August 6, 2021