Une avocate a obtenu, de la part d’un tribunal français, l’annulation du refus de visa de travail pour des Marocains désirant travailler en France. Explications.
Un peu plus d’un an après que le gouvernement français a annoncé la réduction des quotas de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de Tunisie et d’Algérie, un cabinet d’avocat vient d’obtenir du tribunal administratif de Nantes l’annulation de toutes les décisions de refus de visas qu’il avait contestées. Le tribunal « a enjoint le ministre de l’Intérieur à délivrer les visas dans un délai de deux mois à compter de la notification des jugements ».
Dans un communiqué consacré à l’« annulation de 23 décisions de refus de visa avec injonction de délivrance des visas faite au ministère de l’intérieur français par le tribunal administratif de Nantes », le cabinet FB Avocat assure que « les décisions de refus de visas qui étaient des décisions purement politiques et dépourvues de toute base légale ont causé de très nombreux préjudices aux entreprises agricoles françaises ».
Me Fatou Babou répond aux questions du Journal de l’Afrique. L’avocate rappelle que « le secteur agricole en France est en très grande pénurie de main-d’œuvre et, pour pallier ces difficultés, il fait appel de manière récurrente à la main d’œuvre étrangère, particulièrement à la main d’œuvre saisonnière marocaine ».
Le Journal de l’Afrique : Au-delà de la décision de justice qui concerne 23 annulations, les refus sont-ils vraiment nombreux ?
Me Fatou Babou : Oui, il existe plusieurs autres cas de refus de visa d’entrée en France que j’ai pu constater au Maroc, en Tunisie et en Algérie, particulièrement pour les conjoints de français, mais également les étudiants étrangers . Les consulats refusent de plus en plus les visas de type D, les visas long séjour, et on réduit considérablement les délivrances de visas de type C, les visas court séjour.
« Il est inimaginable qu’une société privée soit intermédiaire entre l’administration et l’administré »
Le fait que les dossiers de demande de visa soient sous-traités, chez TLS par exemple, pose-t-il un souci ? Notamment au niveau de la transparence du processus ?
Il s’agit d’un très grand problème de procédure. En effet, les sociétés privées telles que TLS n’ont pas de prérogatives de puissance publique, elles ne font que recueillir les pièces dans le but de les transmettre au consulat. Cette intermédiation pose un très grand problème de transparence, et plus particulièrement de procédures juridiques.
L’instruction du dossier implique pour l’administration d’avoir l’ensemble des pièces et de recueillir toutes les motivations permettant d’apprécier convenablement la volonté d’immigration en France. Ces éléments ne peuvent être perçus que lors du rendez-vous de dépôt du dossier. Or, avec les sociétés intermédiaires, il n’est pas possible de percevoir ces informations et de recueillir de manière exhaustive les pièces et motivations du demandeur. Ces sociétés coupent tout lien entre l’administration et le demandeur de visa. Cela pose de nombreux problèmes de compréhension de la demande, mais également de transparence au niveau du traitement du dossier. Il est inimaginable en France qu’une société privée soit intermédiaire entre l’administration et l’administré.
Sur quoi se basent les autorités pour évoquer les raisons de refus de visa, dans le cas des travailleurs concernés ? Vous indiquez que l’administration estimait qu’« il existe un risque de détournement de l’objet du visa à des fins de maintien illégal en France ».
L’administration a considéré qu’il y avait une fraude au visa saisonnier. En effet, certaines entreprises monnaient le recrutement de saisonniers en France afin de leur permettre de rester séjourner en France avec un titre de séjour de 3 ans sans pour autant réellement les embaucher. Les autorités de police ont interpellé plusieurs gérants d’entreprises qui étaient à l’initiative d’un tel trafic. Cependant, cette pratique est minoritaire, en effet 95 % des saisonniers marocains retournent au Maroc après la période de 6 mois de séjour en France c’est ce que révèle une étude du ministère de l’Intérieur réalisée en 2020 en collaboration avec l’Union européenne intitulée « Attirer et protéger les travailleurs saisonniers ressortissants de pays tiers en France ».
Vous évoquez « des décisions de refus de visas qui étaient des décisions purement politiques et dépourvues de toute base légale ». Mais n’est-ce pas en réalité souvent le cas, au-delà du dossier des entreprises agricoles que vous défendez ?
Effectivement, la délivrance des visas d’entrée est étroitement liée aux relations politiques qu’entretient la France et un autre pays. Cependant il y a des textes de loi et les conventions internationales que la France à elle-même adoptés ou ratifiés. Par exemple, pour le respect de la vie privée familiale on a l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui protège le droit au regroupement familial, le droit à un conjoint de français ou à un parent d’enfants français de vivre sur le territoire français. Par conséquent, qu’il y ait une décision politique où une perturbation dans les relations diplomatiques, certains visas doivent être délivrés de plein droit, car ils relèvent de principes et valeurs supérieures aux relations politiques. À cet effet, le demandeur de visa dispose de moyens juridiques pour contester un refus contraire à la loi ou à une convention internationale pourvu qu’ils puissent l’utiliser et y accéder.
« En contestant les refus de visa, une pression sera exercée sur l’administration consulaire »
Selon vous, la baisse du quota de visa décidée de façon unilatérale (et pour des raisons diplomatiques) peut-elle être attaquée en justice à la source ?
Malheureusement, certaines décisions d’ordre politique ne peuvent être contestées devant les tribunaux en raison de ce que l’on appelle dans le jargon juridique « les actes de gouvernement ». Cette décision de restriction de refus de visas est une consigne qui a été donnée aux consuls et ambassadeurs. Si elle avait été prise par arrêté où par décret, on aurait pu porter ces actes devant une juridiction administrative, ce qui n’a malheureusement pas été le cas.
Heureusement que l’application de cette directive implique des décisions administratives individuelles en l’espèce, les refus de visa, et ce n’est que par la contestation de ces refus de visas devant le tribunal administratif de Nantes que nous pouvons contester cette décision politique.
Est-ce que la résolution de ce cas pourrait amener d’autres plaintes à l’avenir ? Ou changer la politique de visas de la France au Maroc ou au Maghreb ?
Tout à fait, ce n’est qu’en contestant les refus de visa qu’une pression sera exercée sur l’administration consulaire afin qu’elle révise sa politique et qu’elle instruise les demandes de visas en toute légalité et non de manière arbitraire
Avez-vous des exemples concernant les « très nombreux préjudices » subis par les entreprises agricoles françaises ?
J’ai un client qui a été placé en redressement judiciaire, car il n’ a pas été en mesure de générer un chiffre d’affaires suffisant faute de main-d’œuvre.
Une autre entreprise a été visée par plusieurs plaintes pénales pour escroquerie en effet il s’agissait d’une entreprise de prestations de services agricoles qui avait signé plusieurs marchés de prestations et avait pris des avances il devait exécuter ses marchés avec les saisonniers Marocains il a essuyé plus de 16 refus et n’a pas pu honorer un seul de ces marchés.
Une autre de mes clientes agricultrices est entrée en dépression suite à la pénurie de main-d’œuvre et à la perte de ses cultures.
Ce qui m’inquiète c’est que cette problématique de visa n’est qu’une partie visible de l’iceberg des problématiques de l’immigration en France. En effet il y a une nécessité de réformer toute la politique d’immigration et particulièrement la réglementation d’entrée et de séjour en France