Alors que les Tunisiens ont de plus en plus de mal à trouver du pain dans les boulangeries, le gouvernement tunisien tente de contenir la grogne, dans un pays qui a connu les « émeutes du pain » il y a 40 ans.
C’est un problème récurrent depuis ces derniers mois. Lors du mois de ramadan, en mars dernier, la Tunisie avait connu plusieurs fermetures de fournils. Conséquence : il était très difficile pour les populations locales de s’approvisionner en farine, mais surtout en pain, l’un des aliments les plus prisés lors du mois béni. Une situation que la Tunisie doit en partie à la guerre en Ukraine, le pays nord-africain étant dépendant du blé ukrainien.
Reste que, finalement, le ramadan s’est relativement bien déroulé. Mais la pénurie de pain menace toujours. Or, on le sait, en Tunisie, le manque de pain est bien plus qu’un simple problème économique, il est politique. En décembre 1983, le gouvernement tunisien avait décidé d’augmenter le prix de la baguette, de 50 à 90 millimes. Après des « émeutes du pain » qui avaient fait entre 70 et 150 morts, selon les sources, le ministre de l’Intérieur avait été limogé par le président Habib Bourguiba.
Autant dire que Kaïs Saïed sait ce qui l’attend s’il ne règle pas rapidement ce problème. Le président tunisien a évoqué la pénurie de pain lors d’une de ses dernières sorties, estimant que « le pain doit être mis à la disposition des citoyens ». Plus facile à dire qu’à faire ? Pas sûr. Selon le chef de l’État, la farine serait en réalité toujours disponible et cette pénurie serait un complot orchestré par ses opposants qui « manipulent les moyens de subsistance et la vie des citoyens, en inventant à chaque fois une crise, notamment celles du pain, du sucre et de l’huile ».
Une explication qui ne satisfait pas les Tunisiens, qui se massent devant les boulangeries pour obtenir du pain dans plusieurs villes du pays. Du côté du ministère du Commerce, on reconnaît que la sortie de Kaïs Saïed est sans doute exagérée : la ministre Kalthoum Ben Rejeb a en effet avoué un manque d’approvisionnement de la farine. Une situation qui doit beaucoup aux finances de l’État, dans le rouge. Importer du blé coûte désormais très cher, et difficile pour le gouvernement de se tourner vers ses producteurs locaux.
De nombreuses raisons avancées
Le pays a « l’obligation d’importer 100 % de ses besoins en blé dur, en blé tendre et en orge pour cette année, sachant que la production nationale ne suffit qu’à couvrir 10 % des besoins, soit trente jours de consommation en cas de bonne récolte », indique Anis Kharbeche, membre du bureau exécutif de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap).
Du coup, Tunis compte encore sur les institutions internationales, comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, pour obtenir du blé dur. Pour le blé tendre, la pénurie n’a pas vraiment de solution.
En attendant, le gouvernement fait culpabiliser les Tunisiens qui consommeraient, selon lui, trop de pain. Mais en pleine crise de la vie chère, le pain est un aliment de base, grâce à la subvention accordée sur la farine. Problème : la caisse de compensation pourrait, à terme, ne plus être utilisée pour financer les farines, ce qui ferait donc indéniablement augmenter le prix du pain.
Un dilemme pour le président de la République : toucher à cette caisse de compensation, en l’état actuel des choses, représente un trop gros risque politique. Laisser la pénurie perdurer également. Si le pain continue à manquer dans les boulangeries et que la situation s’aggrave, la Tunisie peut s’attendre à des mouvements sociaux d’ampleur.