Le flux d’armes illégales en Afrique, malgré les efforts des Etats africains et des ONG, demeure hors de contrôle. D’où viennent ces armes et comment atterrissent-elles entre les mains des criminels ?
Malgré la volonté de l’Organisation des Nations unies (ONU), des ONG spécialisées dans la lutte contre les armes illégales, des agences des renseignement et des forces de l’ordre des Etats africains, la propagation des armes légères et de petit calibre (ALPC) en Afrique n’en finit plus d’inquiéter.
Pire, ces armes obtenues illégalement semblent aujourd’hui devenir un business de choix pour les groupes rebelles ou les terroristes dans les régions qui connaissent le plus de violences en Afrique. De l’Afrique des Grands Lacs au Sahel, en passant par l’Afrique du Nord, des fusils d’assaut et des explosifs trouvent leur chemin vers les criminels de toutes sortes.
En général, la communication autour des saisies occasionnelles de ces armes ne couvre pas leur provenance. Si certaines de ces armes sont dérobées aux forces de sécurité après les confrontations armées, et qu’une autre partie provient des fabricants locaux, une majorité des ALPC utilisées par les groupes armés africains provient en réalité d’usines licenciées.
Il n’est donc pas rare d’apercevoir, entre les mains des terroristes, des équipements relativement avancés. Lorsqu’il s’agit du Vepr urkainien ou sud-africain, de variants d’AK-47 chinois ou finlandais, du Galil israélien, du FN Fal belge ou encore des munitions provenant d’Europe et d’Amérique latine, personne ne semble enclin à expliquer comment ces armes font le tour du monde avant de contribuer aux massacres de civils en Afrique.
AK-47, la victime d’une stratégie de communication
Cela fait plus de neuf ans que l’inventeur du AK-47, Mikhaïl Kalachnikov, est décédé. Mais à la fin de sa vie, l’ingénieur russe disait : « Je suis fier de mon invention, mais je suis triste qu’elle soit utilisée par des terroristes. (…) Ce n’est pas agréable de voir que toutes sortes de criminels tirent avec mes armes ».
Mais ce dont peu de gens, hormis les connaisseurs, se doutent, c’est qu’aucune des 148 armes inventées par Kalachnikov, ces dernières décennies, n’est vendue illégalement. Et cela concerne le fameux AK-47 tout autant que ses variants réguliers.
Pourtant, les statistiques officielles affirment que le AK-47 est présent dans l’arsenal officiel de 87 pays à travers le monde, dont 33 pays africains. Quant aux armes illégales, il existe une erreur récurrente : on attribue volontiers le qualificatif de AK-47 à toutes les armes automatiques qui y ressemblent esthétiquement.
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Rien n’est moins vrai. La majorité des armes illégales produites ou acheminées vers l’Afrique, selon les rapports de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC), d’Interpol ou des forces de l’ordre africaines, sont des calibres plus légers et souvent plus avancés.
La confusion entre le AK-47 russe traditionnel et les armes dérivées fabriquées dans les usines occidentales est délibérée. Avec un rapport de 10 contre 1 entre l’AK-47 et les autres ALPC automatiques lors de la signature du Pacte de Varsovie, l’image du Kalachnikov est simplement une stratégie de communication. Son but est de laisser penser, à la lecture des rapports occidentaux, que le AK-47 est « le tueur le plus populaire au monde ». Une façon de dédouaner les autres fabricants.
Manque de transparence lors des saisies d’armes en Afrique
Au Nigéria, par exemple, ce qui ressemble à un AK-47 dans les mains des terroristes de Boko Haram ou des bandits et rebelles du nord et du sud du pays sont, pour la plupart, des produits dérivés chinois, hongrois, albanais ou même fabriqués… au Nigéria.
Selon une source de la Commission nationale pour la collecte et le contrôle des armes illicites (CNCCAI) au Niger, l’OBJ-006 — l’AK-47 du Nigéria — est de plus en plus répandu sur le marché noir chez le voisin du nord. « Nous avons saisi, en 2021, au moins 4 000 AK-47 fabriqués au Nigéria, contre une dizaine de milliers d’armes provenant du Cameroun ou de la Libye », affirme le militaire, qui déplore le manque de volonté politique de soumettre les données de saisies aux parties spécialisées.
Un manque de transparence déploré également par l’ONG suisse Small Armes Survey, première source mondiale de recensement d’ALPC illégaux. Dans son dernier rapport, datant de 2019 et établi avec l’aide de l’Union africaine, elle rappelle que « les 49 plus gros exportateurs mondiaux d’armes légères affichent une note moyenne de 12,35 points sur un total de 25 » en termes de transparence.
Il y a à peine un mois, un cargo en provenance d’Italie et qui se dirigeait vers la Guyane, qui s’est inexplicablement arrêté à Dakar, contenait trois conteneurs de munitions italiennes non déclarés.
Des armes américaines déguisées
Un rapport de l’ONUDC, datant de décembre dernier, explique que les armes en circulation sur le marché noir en Afrique sont majoritairement de fabrication chinoise, des PK ou des Norinco pour la plupart, qui ressemblent également à des AK-47.
Un constat non partagé avec les autorités sahéliennes par exemple. Au Burkina Faso, au Bénin, en Guinée-Bissau, en Guinée et en Sierra Leone, au moins un tiers des armes saisies en 2021 sont des M-16 américains, des PMK polonais ou des Galil et Uzi israéliens. Ces armes légères, malgré leurs prix supérieurs aux équivalents artisanaux ou provenant du Brésil, du Venezuela ou d’Europe de l’Est, sont de plus en plus convoités.
Le secret derrière la popularité de ces armes plus performantes est d’abord un secret industriel. Le directeur commercial d’une société turque spécialisée en ALPC nous confie que, « malgré la multiplication des sources des armes légères destinées au marché africain, les investisseurs sont toujours les mêmes, et sont souvent américains ou européens ».
Il parle notamment de la domination du marché par des entreprises d’armement américaines situées en Pologne et en Turquie, dont le produit de choix est toujours les mitrailleuses légères. « Ils produisent des pièces bâtardes, usant des munitions 5,56 mm mais ressemblant à un AK-47 – qui utilise des balles 7,62mm », affirme le spécialiste. « Ces armes transitent par la Sierra Leone, qui est moins regardante sur les licences d’armes depuis la guerre civile, et encore moins depuis la levée de l’interdiction des armes légères de 2012 », conclut-il.