Deux mois après le « mini-sommet d’Oyo », initié par le président ougandais Yoweri Museveni, le président du Rwanda, Paul Kagame, se rendra à Brazzaville le 10 avril prochain. Il y sera question de lutte contre le terrorisme.
Le 10 avril prochain, à Brazzaville, se profile une rencontre qui risque de faire parler. Selon Africa Intelligence, le président rwandais Paul Kagame se rend en effet, à cette date, au Congo pour, officiellement, « une visite de travail ». Sur place, Kagame rencontrera son homologue congolais Denis Sassou N’Guesso.
Mais dans les faits, l’arrivée de Kagame à Brazzaville est la conséquence de sa non-invitation au « mini-sommet » d’Oyo, qui s’était déroulé les 11 et 12 février derniers. Le fait que le président rwandais n’ait pas été convié à ce rendez-vous qui avait réuni plusieurs chefs d’Etat aurait passablement irrité le maître de Kigali.
A vrai dire, il en faut peu pour contrarier l’« Inkotanyi » — le surnom de Kagame, habituellement donné aux combattants du Front patriotique rwandais (FPR) —, qui s’est, ces derniers temps, illustré par des discours hostiles envers ses voisins plutôt que par sa diplomatie.
Si les rencontres entre Kagame et l’« Empereur » congolais ne sont pas rares, c’est surtout le timing qui interroge : malgré une relation au beau fixe entre les deux hommes, « Denis Sassou N’Guesso est un peu le ‘précepteur’ de Félix Tshisekedi. Il a aussi une solide relation avec Yoweri Museveni et est considéré comme le mandarin de l’Afrique centrale en termes de diplomatie », nous confie un diplomate.
Le triangle — loin d’être amoureux — Kagame-Tshisekedi-Museveni souffle le chaud et le froid. Surtout en raison du mécontentement constant de Kagame. Le pacte sécuritaire conclu en février entre Denis Sassou N’Guesso, Yoweri Museveni et quatre autres chefs d’Etat africains est perçu, par Paul Kagame, comme une menace. Et à défaut d’en être, le président rwandais aimerait comprendre pourquoi il n’a pas été convié.
Pourquoi Kagame n’a pas été convié à Oyo
La formation de la fondation African global Security (AGS), actée lors de la rencontre d’Oyo de février, n’est pas le seul épisode qui a isolé Kagame. Le Rwanda a également été écarté de l’opération antiterroriste conjointe entre la République démocratique du Congo (RDC) et l’Ouganda. Le chef d’Etat rwandais considère, en coulisse, que tout effort africano-africain en matière de sécurité ou de lutte contre le terrorisme défie sa « diplomatie militaire » et devrait passer par lui.
Paul Kagame, agacé, semble déterminé à aller au bras de fer avec les autres dirigeants africains, avec pour seul objectif de devenir incontournable. Lors de l’intervention de l’armée rwandaise au Mozambique en août dernier, Kagame avait contrarié l’Afrique du Sud, alors à la tête des forces de la SADC envoyées dans le nord mozambicain.
Lors d’une interview en janvier, le président rwandais déplorait ne pas avoir été « prévenu, ni par la RDC ni par l’Ouganda » du lancement de l’opération militaire dans l’est de la RDC. Et il en est même arrivé à menacer la RDC, lors d’un discours en février, en proclamant : « Quiconque nous souhaite la guerre, nous la lui donnons ».
Malgré ces nombreuses sorties hostiles, qui ébranlent la stabilité diplomatique de la sous-région — Kagame est aussi aux prises avec le Burundi —, le chef de l’Etat rwandais peut cependant se targuer d’être toléré par ses pairs. Publiquement en tout cas.
Denis Sassou N’Guesso repart pour un tour
Mais le chef de l’Etat congolais, Denis Sassou N’Guesso, n’est pas du genre à se plier aux exigences de Kagame, aussi respecté soit-il. D’un mandat réussi à la tête de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), dont il a passé le flambeau à… Félix Tshisekedi, en passant par une position indiscutable de médiateur (Namibie, Angola, RCA, Libye…), jusqu’à être la référence de bien des présidents africains qui demandent simplement ses conseils, l’« Empereur » n’est pas du genre à se faire bousculer par quiconque.
Lors de la rencontre du 10 avril entre Sassou N’Guesso et Kagame, trois sujets seront abordés. Tout d’abord, les investissements rwandais au Congo. Le fonds Crystal Ventures, qui avait obtenu la concession de la zone industrielle de Maloukou dans la banlieue de Brazzaville, n’a toujours pas engagé les 200 millions de dollars promis. Un sujet relativement consensuel.
Là où le bât blesse, c’est que le président congolais compte prendre le temps de recadrer le maître de Kigali sur deux autres sujets. Premièrement, ses sorties houleuses de plus en plus nombreuses lors desquelles il attaque l’Ouganda, le Burundi et surtout la RDC. Enfin, Sassou N’Guesso tentera d’expliquer à Kagame pourquoi il se trouve hors de la nouvelle coopération sécuritaire regroupant le Congo, la RDC, la Mauritanie, le Togo, l’Ouganda et le Sénégal.
Kagame, criminel de guerre amnésique
Une mise à l’écart qui interroge. Si « la non-invitation de Kagame avait fait grincer des dents à Kigali », selon Africa Intelligence, ce n’est certainement pas sans raison.
Car malgré la relative réussite des interventions militaires du Rwanda en Afrique, notamment la plus récente au Mozambique, c’est surtout les tendances guerrières de Kagame qui dérangent ses homologues. Paul Kagame est cité dans plusieurs affaires – certaines avérées – de crimes de guerre. Il est même considéré par le politologue et journaliste Pascal Martin comme « le plus grand criminel de guerre en fonction aujourd’hui ».
« Malgré les dénégations publiques, le fait que Kagame soit coupable de crimes est un secret de polichinelle au sein du FPR et dans les milieux proches du FPR ».
Theogene Rudasingwa, ex-ambassadeur rwandais aux Etats-Unis, ancien Secrétaire général du FPR, et ex-chef de cabinet de Paul Kagame.
Si le président rwandais arrive à dévier habilement la propagation des accusations à son égard, grâce à une communication bien ficelée, il n’en reste pas moins vrai que sa complicité dans les actions du FPR au Kivu lors de la seconde guerre civile du Congo est prouvée. Le rapport onusien, « Mapping », a épinglé bien des proches de Kagame, et le président rwandais lui-même, pour des crimes de guerre et des actes génocidaires. On compte aujourd’hui plus d’une centaine de milliers de civils rwandais, Hutus et Tutsis, sans distinction, massacrés par les troupes du FPR de Kagame entre 1996 et 2003.
Dans « La vraie nature du FPR/APR d’Ouganda en Rwanda », l’écrivain rwandais exilé Gaspard Musabyimana raconte que « Kagame ne cache jamais ses plans criminels car il sait que personne ne peut y croire tellement leur réalisation est inimaginable pour un homme normal ». Il s’appuie notamment sur le rapport Garreton de la Cour pénale internationale, qui soutient les accusations en suspens de Kagame de crimes de guerre.
Or, la fondation AGS, formée par six Etats africains, se veut être une solution à la violence terroriste, et non une lessiveuse pour les crimes de guerre. Ce que Kagame peine encore à comprendre. Denis Sassou N’Guesso devrait tenter de le lui rappeler le 10 avril prochain.