Le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a débuté sa tournée africaine par une visite au Sénégal. Il souhaite déplacer les audiences de son instance dans les pays concernés par des crimes.
Vendredi dernier, un service de sécurité digne d’un chef d’Etat a investi l’hôtel Radisson Blu de Dakar, au Sénégal. Dans les couloirs de l’hôtel, la porte de la chambre de Karim Khan est gardée comme une forteresse. Il faut dire que le nouveau procureur de la Cour pénale internationale (CPI) n’a pas que des amis en Afrique. L’Union africaine (UA) avait un temps estimé que la CPI faisait preuve de néocolonialisme, la Cour s’acharnant selon l’instance un peu trop sur le continent africain.
Karim Khan a passé trois jours au Sénégal. Une visite qui s’est conclue ce dimanche. Le successeur de Fatou Bensouda avait annoncé, lors de sa prise de fonctions en juin dernier, qu’il ferait en sorte que les procès de la CPI soient déplacés de La Haye vers les cadres conventionnels, à savoir les pays d’origine des dirigeants accusés de crimes.
Reçu par le président sénégalais Macky Sall, ce vendredi 10 septembre, Karim Khan a salué « les progrès accomplis par le Sénégal » notamment en matière de « droit international ». Pour rappel, le Sénégal avait mis en place une chambre africaine extraordinaire pour juger Hissène Habré « au nom de l’Afrique ». Une première pour le continent. Karim Khan a donc logiquement estimé que le pays de la Teranga serait en première ligne dans le « combat pour faire respecter le droit international ».
La CPI n’en a pas fini de juger des Africains
L’opération séduction de Karim Khan s’appuie sur l’expérience de ce dernier en Afrique. Avocat, Khan a autrefois défendu le vice-président kényan William Ruto, le chef de guerre congolais Jean-Pierre Bemba, l’héritier du « guide de la révolution » libyen Saïf al-Islam Khadafi ou encore l’avocat camerounais Félix Agbor Balla. En juillet, Karim Khan avait demandé la levée du mandat d’arrêt contre Simone Gbagbo. Khan avait d’ailleurs été très critique envers la CPI au moment du procès de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
Seulement voilà, il sera très difficile de réconcilier l’Afrique et la CPI. La Cour est réputée pour condamner plus facilement les dirigeants africains que les autres. En 2016, par exemple, sur neuf pays visés par des enquêtes de la CPI, huit étaient africains. Cette année, la CPI a prononcé ses deux peines les plus lourdes à l’encontre du Congolais Bosco Ntaganda et de l’Ougandais Dominic Ongwen. Cette « chasse raciale », comme le dénonce l’UA, avait poussé l’Afrique du Sud, la Gambie et le Burundi à se retirer de la CPI.
Avec la guerre civile en République centrafricaine, qui avance indéniablement vers une victoire militaire de l’Etat, et le conflit mozambicain de Cabo Delgado, qui devrait connaître le même sort, la fin des procès pour crimes de guerre ou contre l’humanité en Afrique ne devrait pas être pour aujourd’hui.
Le procès d’el-Bechir, le premier test de Khan
Le procureur général de la CPI fait donc face à la pression africaine, et sa tournée africaine doit lui permettre de discuter avec plusieurs chefs d’Etat. La « désafricanisation » de la CPI devra sans doute passer par un bras de fer avec la communauté internationale et les juges de la CPI. Karim Khan pourra cependant s’appuyer sur ses contacts africains, mais également sur le soutien de la Grande-Bretagne — il a été le conseiller de la reine Elizabeth II.
Pour montrer sa bonne volonté, Khan devrait se concentrer sur un autre dossier : le terrorisme islamique. Le procureur de la CPI dirige, depuis 2018, l’enquête des Nations unies sur les crimes du groupe Etat islamique. Mais concernant les crimes terroristes, la CPI est bien souvent incompétente en raison des cadres légaux conflictuels entre les Etats et le droit international. Le procureur voudrait donc uniformiser la jurisprudence en la matière, en tenant des procès internationaux devant les cours pénales africaines, inexpérimentées en matière de loi antiterroriste.
Plusieurs chantiers se présentent donc à Karim Khan. Le changement de mode opératoire de la CPI en Afrique est cependant soumis à un calendrier précis : le 1er janvier prochain débutera l’année judiciaire 2022. Il ne reste que quelques mois au procureur de la CPI pour mettre en place sa nouvelle politique. Si Karim Khan réussit à obtenir la collaboration de plusieurs Etats africains, il sera alors bien parti pour atteindre ses objectifs.
Avec le président sénégalais Macky Sall, dont Khan « salue le leadership », qui héritera de la présidence de l’Union africaine l’an prochain, le procureur de la CPI cherche à cautériser neuf ans de plaies causées par la Gambienne Fatou Bensouda. Cependant, il faudra surveiller l’avancée des affaires en cours devant la CPI. Notamment celle qui concerne l’ancien président soudanais Omar el-Bechir et deux de ses co-accusés pour des crimes de guerre au Darfour. Le Soudan a promis de les extrader vers La Haye. Ce procès pourrait être le premier test grandeur nature de Karim Khan.