Ce lundi, le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra entame une visite à Moscou. La première étape d’une tentative de médiation africaine dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie.
Le 9 mars dernier, l’Algérie, le Soudan, l’Irak, l’Egypte et le secrétaire générale de la Ligue arabe intégrait un « groupe de contact arabe » dont l’objectif était de contribuer à trouver une solution diplomatique au conflit entre l’Ukraine et la Russie.
Le voyage du ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, ce lundi à Moscou, en Russie, est un événement. Le chef de la diplomatie algérienne est accompagné des ministres des Affaires étrangères du Groupe de contact arabe, mais également de celui de la Jordanie et du secrétaire général de la Ligue arabe.
Ramtane Lamamra indique vouloir « lancer des concertations avec la partie russe autour du conflit en Ukraine », alors qu’il rencontrera, en Pologne, la partie ukrainienne. Le chef de la diplomatie algérienne ira également, ce mercredi, en Allemagne. Un communiqué affirme que les ministres arabes évoqueront « les voies et moyens de la contribution du Groupe de contact arabe aux efforts d’apaisement, dans le but de rapprocher les vues afin de trouver une solution politique rapide qui repose sur les principes du droit international et la Charte des Nations unies et prend en compte les préoccupations de toutes les parties ».
En Afrique, des positions divergentes
Pour rappel, l’Algérie, le Soudan et l’Irak s’étaient abstenus de voter, à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), la résolution « condamnant l’agression russe en Ukraine ». L’Egypte, elle, avait voté en faveur de son adoption. Alger avait alors affirmé vouloir « se joindre à tous les efforts et appels diplomatiques visant à apaiser les tensions actuelles, et à privilégier les vertus du dialogue afin de promouvoir le vivre-ensemble en paix entre les pays dans l’intérêt de la paix et de la sécurité internationales ».
L’Afrique subit des pressions de toutes parts, notamment venant des Américains et de l’Europe. Lors d’une visite à Washington début mars, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, avait été pressé par la Maison-Blanche de se positionner en faveur de l’Ukraine. Le secrétaire d’Etat Antony Blinken a également tenté de s’arroger le soutien du Maroc et de l’Algérie lors de sa tournée au Maghreb. Et ce lundi, Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat américaine en charge des Affaires politiques, affirme : « Tout comme nous avons essayé de nous tenir aux côtés des pays africains qui ont été confrontés à l’instabilité, ou dont la souveraineté et l’intégrité territoriale ont été menacées, nous avons maintenant besoin que tous les pays du monde se tiennent aux côtés de l’Ukraine qui est attaquée ».
Les Etats-Unis semblent en vouloir à l’Afrique d’être si neutre. Plutôt que la neutralité, ne s’agit-il pas là d’une inertie dans le dossier russo-ukrainien ? Très peu de voix en Afrique ont osé se prononcer sur le conflit qui secoue actuellement l’Ukraine. Avec le chef de l’Etat ougandais Yoweri Museveni, Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, est l’un des seuls à avoir oser accuser l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui, n’a pas « tenu compte des avertissements lancés par ses propres dirigeants et responsables au fil des ans, selon lesquels son expansion vers l’est entraînerait une plus grande, et non une moindre, instabilité dans la région ».
Macky Sall, trop aligné sur Paris
De son côté, donc, le président de l’Union africaine marche sur des œufs. Si l’on a, un temps, cru que le président sénégalais s’était émancipé de ses alliances historiques, avec la France notamment, en s’abstenant de voter contre l’invasion russe en Ukraine à l’ONU, Macky Sall est aujourd’hui aligné sur la politique de Paris. Certes, le 9 mars, le chef de l’Etat sénégalais a décidé d’appeler son homologue russe Vladimir Poutine. Il a alors « sollicité un cessez-le-feu durable en Ukraine ».
Mais fin mars, le président de l’Union africaine a préféré demander aux partenaires internationaux — le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale en tête — d’aider l’Afrique à se relever, rappelant que les conséquences économiques du conflit en Ukraine étaient terriblement négatives pour le continent.
Malgré le coup de fil à Poutine, force est de constater que l’Union africaine, malgré un non-alignement remarqué lors de la fameuse Assemblée générale de l’ONU — dix-sept pays du continent s’étaient abstenus, huit n’avaient pas voté et seule l’Erythrée avait voté contre la résolution condamnant la Russie —, préfère condamner l’invasion russe. Le 24 février dernier, un communiqué de l’UA avait appelé au « respect impératif du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine ».
Macky Sall est-il en train de passer à côté de son premier gros dossier international en tant que président de l’UA ? « L’Afrique peut avoir d’autres marges de manœuvres qu’elle n’avait pas auparavant », assure pourtant Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique. Or, en évitant à l’UA de se positionner en tant que médiatrice dans ce dossier, Macky Sall confirme l’incompréhensible inertie de l’Afrique, alors que les conséquences premières seront ressenties par le continent. « Il soumet encore davantage l’Afrique à l’Occident, alors qu’il avait la marge de manœuvre nécessaire pour s’émanciper », résume un diplomate sénégalais.