Alors que le conflit entre l’Ukraine et la Russie se prolonge, les Etats-Unis prennent un rôle de plus en plus actif dans cette crise qui menace leur hégémonie mondiale. Mais l’Oncle Sam a bien du mal à convaincre les pays émergents d’adopter la même position.
Plus de deux mois se sont écoulés depuis le début du conflit ukrainien. Aujourd’hui, le monde entier a connu les répercussions de cette crise, surtout économiquement. En Afrique, l’heure est surtout à la recherche d’alternatives au commerce — de la Russie comme l’Ukraine — des céréales. De nombreux pays africains cherchent aussi à se frayer une place dans les secteurs des hydrocarbures, des engrais et des métaux, entre autres produits connaissant une pénurie dans les pays occidentaux.
Pour l’économiste américain Marcus Stanley, « le statut des Etats-Unis en tant que leader de l’économie mondiale est en jeu à mesure que les économies américaine, européenne et mondiale subissent l’impact négatif des sanctions contre la Russie ». Mais, surtout, l’analyste du Quincy Institute tente d’expliquer la direction prise par l’Occident par une « intégration économique plus ségréguée des alliés des Etats-Unis ».
Cette dernière, annoncée par la secrétaire au Trésor des Etats-Unis Janet Yellen fin avril, n’est-elle, finalement, que réactionnaire ?
En effet, les Etats-Unis avaient menacé d’entraver tout gain de terrain des puissances ayant profité des sanctions contre la Russie pour se procurer des produits à un coût réduit par rapport à la valeur du marché. Dans la ligne des mire des USA, on retrouve particulièrement la Chine et l’Inde.
Le lendemain, la Russie, par le biais de son vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, a tenté de rappeler qu’au-delà de ces deux pays, l’inflation qui ne cesse d’augmenter partout dans le monde pourrait pousser d’autres pays et blocs dans les bras de la Russie. Et il était surtout question de… l’Afrique.
La Russie a-t-elle réellement étendu ses partenariats en Afrique ?
En effet, le diplomate russe a profité d’une interview à l’agence Interfax pour envoyer un message à l’Afrique. « Nous avons des relations immaculées avec la quasi-totalité des pays du continent (africain), par exemple avec l’Algérie, l’Angola, la République démocratique du Congo et le Mozambique. Notre partenariat avec l’Egypte a toujours été très productif. Comme nous respectons les intérêts de nos amis et partenaires, nous croyons que l’Afrique a un potentiel très sérieux pour les opérations de nos entreprises », a déclaré Bogdanov.
Le responsable a également détaillé les initiatives que la Russie entreprend dans plusieurs pays africains, obscurcis selon lui par le silence des médias. On apprend notamment que Moscou a signé des accords dans la transformation du platine au Zimbabwe. Mais également que plusieurs entreprises russes ont répondu à des appels d’offres dans les énergies et les hydrocarbures dans plusieurs pays africains. « Les offres des entreprises russes seront plus compétitives que jamais », assure le diplomate.
Le directeur du programme de recherche Russie-Afrique à l’Institut sud-africain des Affaires Internationales (SAIIA), Steven Gruzd, estime quant à lui que le futur des relations entre l’Afrique et la Russie dépendra du bilan du deuxième sommet Russie-Afrique, prévu pour cette année. « Il doit y avoir beaucoup de progrès tangibles. (…) Cela tranchera avec les partenaires qui donnent plus de paroles que d’actions », affirme le chercheur.
Un chantage occidental contre-productif ?
Entre temps, c’est surtout l’Europe et les Etats-Unis qui perdent du terrain. La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, comme la ministre américaine Yellen, a montré le penchant occidental pour une réorganisation du commerce plus occidentalo-occidentale. « Un ordre économique international plus fragmenté garantira plus de sécurité », affirme la Française. Qui continue : « Le prix d’une sécurité accrue pourrait en principe prendre la forme d’un partage international des risques plus faible ». En d’autres termes, elle appelle aussi à exclure les pays émergents de l’establishment économique mondial.
If you can not sleep because of Russia & Ukraine conflict, imagine Ukraine is Africa and Russia is the US.
Sergey Lavrovhttps://t.co/rZX356jOu4— 🎗️🎗️Mekdes (@Mekdeswd) April 30, 2022
Si économiquement et diplomatiquement, cette tendance qui se matérialise de plus en plus dans les discours des responsables occidentaux parait suicidaire, elle n’est pas sans raison. Les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) ont fustigé, à plusieurs reprises et sans finesse, la position de plusieurs pays quant au conflit ukrainien. En Afrique, plus qu’ailleurs, plus de pays hésitent à condamner automatiquement la Russie par soucis de non-alignement ou de souveraineté diplomatique. Et alors que plusieurs pays africains souffrent de la pénurie de produits de première nécessité, les aides occidentales, ou plus simplement le commerce, se font plus rares.
Etonnant, lorsqu’on se rappelle que, pendant les derniers mois de 2021, les Etats-Unis et l’UE avaient, coup sur coup, promis d’augmenter leur coopération avec les pays africains.
Mais beaucoup moins étonnant en considérant que des Etats comme l’Afrique du Sud, l’Ouganda, le Gabon, l’Algérie et d’autres se rangent de plus en plus derrière la Russie, ou en tout cas se positionnent contre le chantage à peine voilé de l’Occident dans ce dossier.
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Et dans les pays du Sud non-africains, c’est encore plus manifeste. Sous pression pour son refus de rejoindre la coalition anti-russe des Etats-Unis, le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, a simplement déclaré : « Sommes-nous vos esclaves… que quoi que vous disiez, nous le ferons ? ».
Ce qui est certain, c’est que si l’Occident poursuit son projet de ségrégation économique, plus de pays du tiers-monde, embrasés par l’inflation, auront la même attitude vis-à-vis des Etats-Unis et de ses alliés.