Cette dernière annulation de la dette reflète la pression que la Chine subit dans le débat sur la dette à l’échelon international. Mais que signifie-t-elle vraiment ?
Mi-août, le ministère chinois des affaires étrangères a surpris le monde entier en faisant une série d’annonces. Wang Yi, le chef de la diplomatie de Pékin, a promis un important allègement de la dette de certains des pays les plus pauvres du monde. Cette annonce a été faite lors de la réunion ministérielle du Forum pour la coopération sino-africaine.
Outre l’augmentation de l’aide alimentaire fournie au continent, M. Wang s’est engagé à ne plus exiger le remboursement des prêts concessionnels récemment arrivés à échéance, mais que 17 États africains n’avaient pas pu rembourser.
L’encours des crédits impayés accordés majoritairement par le ministère chinois du commerce (ou, moins fréquemment, par la Banque d’exportation et d’importation de Chine) devraient donc être annulés.
Les détails concernant les bénéficiaires et les lignes de crédit n’ont pas encore été publiés. Toutefois, pour les Africains, c’est une bonne nouvelle, même si elle était quelque peu attendue.
La déclaration de M. Wang est arrivée à point nommé, compte tenu du sentiment croissant de l’imminence d’une crise de la dette qui menace beaucoup de pays en développement, dont un certain nombre se trouvent sur le continent africain. La dette extérieure publique et privée combinée des États africains a plus que quintuplé entre 2000 et 2020. Les créanciers public et privé chinois représentaient 12 % des 696 milliards de dollars de dettes extérieures du continent en 2020.
Les ratios moyens dette/PIB du continent dépassaient les 50 % avant la pandémie. Selon les dernières Perspectives économiques en Afrique de la Banque africaine de développement, le ratio dette/PIB de l’Afrique atteindra les 70 % cette année. En février 2022, 23 pays africains étaient, soit, surendettés, soit risquaient de l’être.
La récente débâcle économique et le renversement du régime de la famille Rajapaksa au Sri Lanka ont ébranlé des pays comme le Ghana et l’Afrique du Sud. Ces événements ont ravivé la crainte que des marchés paniqués ne remettent bientôt en question la solvabilité des États souverains africains.
Le Ghana et l’Afrique du Sud sont particulièrement inquiets d’entrer dans le cercle vicieux des baisses de notation attribuées par les agences de notation, et de l’augmentation des déséquilibres commerciaux. Parmi les autres craintes, citons l’aggravation des pressions sur les monnaies nationales et le risque que les détenteurs d’obligations cherchent à se retirer des marchés africains, ce qui accélérerait l’instabilité financière.
L’Afrique acceptera toutes les mesures d’allègement dont elle pourra bénéficier, dans de telles circonstances.
La dernière dette annulée par la Chine à la fin de l’année 2020 s’élevait à 113 millions de dollars et concernait plusieurs pays. D’où la nécessité de ne pas surestimer outre mesure l’annulation de la dette.
Géopolitique
L’annonce de Pékin était déjà largement intégrée dans la stratégie de nombreuses banques centrales africaines, les prêts chinois sans intérêt étant souvent annulés. De plus, il est généralement admis que lorsque la Chine accorde de telles lignes de crédit, elles sont rarement remboursées en intégralité.
Pékin ne comptait certainement pas sur des pays comme le Burundi, le Congo ou le Mozambique pour rembourser ces dettes. Et elle a régulièrement rééchelonné des prêts consentis à des États africains valant des milliards de dollars, au cours des 20 dernières années.
Par ailleurs, l’impact de la dernière initiative de la Chine sur le profil d’endettement global de l’Afrique devrait être limité. Le geste de Pékin ne réduira pas la hausse des rendements souverains (intérêts sur les obligations), pas plus qu’il n’atténuera la pression à la baisse sur les taux de change que tant d’États africains ont subie l’an dernier.
Cela ne signifie pas, néanmoins, que les vœux de Wang Yi n’étaient pas dignes d’intérêt. Pour certains pays, cette série d’annulations chinoises pourrait avoir des conséquences. Cinq États cumulent la plupart des dettes africaines envers la Chine : l’Angola, l’Éthiopie, le Kenya, le Nigéria et la Zambie. Toute annulation des soldes impayés pourrait efficacement contribuer à rééquilibrer leur passif en leur permettant d’éviter une dépendance excessive vis-à-vis de Pékin.
Pour les pays les plus pauvres d’Afrique – comme Madagascar ou le Niger – des annulations, même de 50 millions de dollars, influeraient vraiment sur leur capacité à payer les services de base.
Mais, globalement, l’enjeu politique des derniers développements est sans doute plus important que leur impact financier.
Ce constat illustre, de façon saisissante, le fait que les propositions d’allègement de la dette de Pékin ont été faites en grande pompe, contrairement aux annulations précédentes. Cela reflète la pression que la Chine estime subir dans le débat international sur la dette.
L’administration Trump a accusé la Chine de piéger les pays en développement en accordant des crédits à des débiteurs, dont Pékin sait parfaitement, qu’ils sont non solvables, comme l’(ancien) vice-président américain Mike Pence l’a déclaré en 2018.
la Chine utilise soi-disant la « diplomatie de la dette » pour étendre son influence… en offrant des centaines de milliards de dollars de prêts pour des infrastructures à des gouvernements d’Asie et d’Afrique, d’Europe et même l’Amérique latine.
La Chine a délibérément mis au point ces « pièges de la dette » pour forcer les États africains pauvres à voter comme elle à l’Assemblée générale de l’ONU, à soutenir ses positions sur Taïwan ou à acquérir des biens immobiliers de valeur en Afrique susceptibles d’être transformés en bases militaires. C’est du moins ce qui se dit.
L’administration Biden a été moins directe dans ses allégations sur la diplomatie chinoise à propos du piège de la dette. Cependant, elle aussi mis Pékin sur la défensive en l’accusant de tenir en laisse les États africains grâce à son pouvoir en tant que créancier.
En outre, les initiatives phares de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ont été fortement influencées par les allégations selon lesquelles la Chine encourage des systèmes de comptabilité parallèle par rapport aux finances publiques et est réticente à accepter les conventions du Club de Paris destinées à faciliter les restructurations de dettes.
Bien que les dettes africaines envers des créanciers privés – en particulier les détenteurs d’obligations – aient augmenté bien plus rapidement au cours de la dernière décennie que les crédits accordés par Pékin, la perception internationale est que la Chine se montre singulièrement intransigeante pour aider à résoudre la résurgence d’une crise de la dette en Afrique.
Pékin essaie de se défendre
Le problème des relations publiques de la Chine a donc des conséquences sur le monde réel et la met dans l’embarras. Bien que Wang, le ministre des affaires étrangères, ait condamné une « mentalité de guerre froide à somme nulle » dans ses commentaires relatifs à l’allégement de la dette promis à 17 pays africains, sa réplique devait aussi clairement servir à marquer des points sur le plan géopolitique.
Son désir de faire sortir la Chine de la position défensive dans laquelle elle se trouve est tout aussi évident au vu des récentes concessions faites par Pékin pour aider la Zambie, un pays en défaut de paiement récurrent à restructurer ses dettes. Les concessions chinoises ont joué un rôle clé dans la conclusion d’un accord sur la dette de la Zambie qui pourrait créer un précédent pour Pékin, dans sa manière de travailler avec d’autres bailleurs de fonds sur l’octroi d’une aide similaire à d’autres pays. L’accord avec la Zambie a été conclu au titre du cadre commun du G20 pour les traitements de dette, qui requiert également la mise en place d’un programme du Fonds monétaire international pour bénéficier d’un allégement effectif.
Ce mélange de concessions et de réactions défensives s’explique par le sentiment que l’irrésistible ascension chinoise qui lui a ouvert beaucoup de portes sur le continent au cours des dernières années, s’est quelque peu estompée. La revue à la baisse des ambitions concernant l’initiative «Nouvelles routes de la soie» de Xi Jinping (y compris la réduction des lignes de crédit accordée aux États africains, car Pékin donne la priorité à ses objectifs internes) laissent beaucoup de gens perplexes sur le continent.
Il a en été de même pour la décision antérieure de n’allouer à l’Afrique que 10 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux par l’intermédiaire du Fonds monétaire international, alors qu’il est évident que la Chine n’a guère besoin d’utiliser sa quote-part de 38 milliards de dollars.
Ignorer les priorités africaines
L’annulation annoncée par Wang Yi des crédits impayés, de toute façon, avaient peu de chance d’être remboursés dans leur intégralité, apparaît donc pour l’instant comme une manœuvre politique peu coûteuse permettant à la Chine de retisser les liens profonds avec les États souverains africains et de mettre en avant leur bonne volonté mutuelle. A court terme, cela pourrait être le cas.
Toutefois, fondamentalement, la décision de Pékin ne change pas grand-chose à l’endettement croissant de l’Afrique. Dans ce contexte de positionnement géopolitique de la Chine et des États-Unis, rien n’indique vraiment que les puissances mondiales ou les institutions financières internationales s’attaqueront enfin aux facteurs systémiques de la résurgence de la dette africaine. En ce sens, la récente annonce de la Chine n’est malheureusement que le retour au statu quo.
Harry Verhoeven, Chercheur de recherche principal au Center on Global Energy Policy, Columbia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.