Le bouquet malien de télévision Malivision a saisi l’Uemoa. Il accuse Canal+ d’« abus de position dominante » et demande des comptes.
Voilà une affaire qui risque d’être longue et périlleuse pour l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Saisie par Serge Dergham, le patron de Malivision, l’institution sous-régionale a décidé d’ouvrir une instruction contre Canal+ pour pratiques anticoncurrentielles. Il est reproché au média français, détenu par le groupe de Vincent Bolloré Vivendi, un « abus de position dominante ». Le groupe Canal+ a, depuis de nombreuses années, conclu des « contrats de partenariat » avec des chaînes qui doivent donc produire, éditer et transporter à leurs frais leurs images jusqu’aux installations de Canal+, qui les commercialise.
Malivision, las de cette mainmise sur le monde de l’audiovisuel en Afrique, a donc décidé de saisir l’Uemoa, qui a nommé des commissaires en avril dernier. Le groupe malien d’audiovisuel commercialise pourtant dans ses différents bouquets plusieurs chaînes de Canal+. Mais au mois de janvier dernier, Malivision a reçu, de la part de Canal+, une mise en demeure. Le patron de la chaîne s’est vu intimer l’ordre d’arrêter la diffusion de Nollywood et des chaînes beIN Sports, mais également de livrer au groupe français des informations sur ses abonnés.
Un piratage à grande échelle ?
Environ 5 000 foyers maliens reçoivent les chaînes de Canal+ via le bouquet malien. Ce qui coûterait environ 100 000 euros à Malivision, que Canal+ aurait dans le collimateur pour ne plus avoir livré les numéros des abonnés à Canal+ depuis l’année dernière. Le groupe français estime qu’il pourrait ainsi être victime de piratage au Mali et que la non-coopération de Malivision lui est préjudiciable dans sa lutte contre le piratage. Mais l’entreprise audiovisuelle affirme que, après un changement de logiciel, tout est désormais rentré dans l’ordre. Malivision aurait par ailleurs supprimé beIN Sports de son bouquet.
Alors le groupe malien ne comprend pas la mise en demeure de Canal+. Mais Serge Dergham ne comprend pas non plus l’insistance de Canal+ de lui demander de mettre fin à la diffusion de la chaîne Nollywood. Le patron de Malivision assure qu’un contrat a été signé en 2014 avec l’éditeur Thema, devenu depuis la propriété de Canal+. Dergham y voit un « abus de position dominante » et demande donc à l’Uemoa de vérifier qu’il est bien dans la légalité.
L’Union économique et monétaire ouest-africaine pourra, comme le stipule l’article 88 de son traité constitutif, mettre fin à « toutes pratiques d’une ou de plusieurs entreprises, assimilables à un abus de position dominante sur le marché commun ou dans une partie significative de celui-ci ».
Canal+ déjà condamné au Burkina Faso
Une position dominante que Canal+ a, année après année, consolidée. Avec un objectif affiché de 5 millions d’abonnés en 2020, Canal+ est en quasi-monopole sur toute la partie francophone du continent. Autrefois abonnée au satellite, la chaîne s’est développée dans plusieurs pays — RDC, Congo ou encore Côte d’Ivoire — sur la TNT. Et lorsque des concurrent émergent, Canal+ fonce pour les racheter. Le groupe a en effet augmenté ses parts au capital de Multichoice, le principal opérateur de télévision payante en Afrique. Si certains tentent de contrer Canal+, comme Life TV en Côte d’Ivoire, une chaîne financée par M6, ou New World TV au Togo, difficile de concurrencer l’ogre Canal.
Conséquence néfaste de cette situation de quasi-monopole : le groupe français se sent parfois tout-puissant. Après le Burkina Faso, qui a condamné Canal+ à payer environ 8 millions d’euros à son ex-distributeur Prosa, après avoir rompu unilatéralement le contrat qui les liait, la filiale de Vivendi va désormais avoir affaire à l’Uemoa. L’enquête pourrait prendre plusieurs mois, mais Malivision espère une issue favorable et la fin de l’impunité de Canal+ en Afrique.