L’une des conséquences politiques majeures de la décision de ces trois États demeure la fragilisation de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme, estime l’universitaire Bakayota Koffi Kpaye.
Depuis l’avènement des juntes militaires à la tête du Mali, du Burkina Faso et Niger, les relations se sont détériorées entre celles-ci et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Conformément à ses principes, l’organisation sous-régionale a vigoureusement sanctionné la prise du pouvoir par la force dans ces pays, entraînant une réaction belliqueuse sans précédent de la part des putschistes à la tête de ces États membres de l’organisation.
La crise a atteint son paroxysme lorsque le 28 janvier 2024, les trois États, qui ont créé depuis, l’Alliance des États du Sahel (AES), ont proclamé ensemble leur retrait de la Cedeao. Même si cette réaction n’est pas une nouveauté dans l’histoire de cette organisation – la Mauritanie s‘est retirée de l’organisation en 2000 -, il est à souligner que cette rupture, si elle devait être confirmée, laisse présager des conséquences tous azimuts pour toute l’Afrique de l’Ouest réputée comme étant une région plus intégrée que d’autres en Afrique.
Or le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui forment l’espace sahélo-saharien de l’Afrique de l’Ouest, sont des États indispensables dans le processus d’intégration et surtout dans la quête de la stabilité de la sous-région durement éprouvée par le terrorisme.
Mes recherches portent, entre autres, sur les questions de libre circulation des personnes et des biens et la sécurité dans l’espace Cedeao. Cet article analyse les conséquences de cette décision sur la lutte contre le terrorisme et l’intégration économique régionale.
Recul dans la lutte contre le terrorisme
L’une des conséquences politiques majeures de la décision de ces trois États réside dans la fragilisation de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Cette coopération, déjà mal en point, compte tenu des relations quelque peu tendues entre certains États membres de l’organisation, connaîtra à coup sûr un recul au grand dam de la sécurité sous-régionale. Cette situation est très paradoxale étant donné que c’est le terrorisme qui est venu semer la discorde entre certains États membres et la Cedeao. Les militaires justifient leur interférence dans la vie politique de ces États par l’incapacité des autorités civiles à endiguer le fléau.
Cependant, force est de constater que le terrorisme, comme un cancer, est en train de ronger inexorablement toute la sous-région. Finalement, la lutte contre le terrorisme, du moins dans sa dimension régionale, reste jusqu’à ce jour un échec total.
Outre la régression de la coopération régionale dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, une autre incidence politique du retrait de ces trois États de la Cedeao est l’affaiblissement des relations bilatérales entre plusieurs États et les trois “sécessionnistes”.
Rappelons au passage que les relations toujours tendues entre la Côte d’Ivoire et le Mali, entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Par ailleurs, la crise s’est installée entre le Bénin, le Nigeria, d’un côté, et le Niger de l’autre, consécutive à la fermeture de la frontière entre les deux pays de la zone humide et côtière de l’Afrique de l’Ouest et le Niger, d’autre part.
Au point de vue stratégique, le retrait de ces trois États plus ou moins homogènes sur le plan géographique, provoquera l’émergence de l’AES et une redistribution des cartes en termes de zone d’influence. Les Occidentaux seront contraints de céder la place aux Russes, Chinois, entre autres. Même certains États du Maghreb comme le Maroc y trouveront une opportunité pour ouvrir les portes de l’Atlantique ou de la Méditerranée à ces États.
Un coup dur à l’intégration sous-régionale
Quelques années après sa création, la Cedeao s’est dotée d’importants protocoles additionnels à son Traité relatifs à la libre circulation des personnes et des biens et à l’établissement des personnes dans ses États membres. Cette initiative a été salutaire et bénéfique pour les populations de la communauté qui étaient unies par des liens brisés par la colonisation. L’adoption de ces instruments a facilité la libre circulation des personnes et des biens ainsi que l’établissement des populations partout où elles le souhaitent dans la sous-région.
Les visas ont été supprimés, les cartes de séjour abandonnées, les documents de voyage simplifiés, etc. Le retrait de ces trois pays portera sûrement un coup d’arrêt à cet exemple d’intégration sous-régionale. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ne vont plus appliquer les conventions de la Cedeao en la matière puisque le leur départ, de facto,prive leurs populations de ces avantages. Les tracasseries vont connaître un accroissement au niveau des frontières septentrionales de la Cedeao aussi bien pour les personnes que pour les biens en transit.
Un bouleversement économique
Tout comme les protocoles additionnels relatifs à la libre circulation des personnes et des biens, l’espace Cedeao est régi par plusieurs accords économiques dont l’objectif est de conduire les États membres à une intégration économique sur la base de la solidarité et de la complémentarité communautaires. Ainsi, de la libre circulation des biens découle la fluidité des transactions commerciales entre les États membres de la Cedeao.
Suite à ce retrait, les entreprises de ces trois pays feront face à de grandes difficultés pour continuer à opérer ou à s’installer dans l’espace Cedeao. Il en est de même pour leurs hommes d’affaires et vice versa. Les droits de douane vont réapparaître, rendant les transactions plus onéreuses et ce au détriment des populations lesquelles vont acheter des produits de plus en plus chers. Les projets de corridor qui sont en chantier entre les pays côtiers et les trois pays de l’hinterland ouest-africain pourraient être gelés.
Le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Cedeoa est l’aboutissement de la tension permanente qui s’est installée entre l’organisation sou-régionale et les juntes militaires qui se sont installées à la tête de ces États. Les militaires burkinabè, maliens et nigériens ont du mal à supporter les sanctions de la Cedeao. De plus, ces juntes soupçonnent la main des puissances étrangères qui pousseraient la Cedeao à aller à des sanctions extrêmes.
Tout compte fait, les États du Sahel ont plus à perdre qu’à gagner en se retirant de la CEDEAO. Certes, ce sont des États membres non négligeables au sein de la communauté, mais ils ne sont pas indispensables à une intégration, surtout au point de vue économique. Les poids lourds de la Communauté étant le Nigéria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Ghana, la Cedeao ne sera que géographiquement amputée. Toutefois, les accords bilatéraux permettront aux États membres de redéfinir leur coopération avec les États du Sahel.
Bakayota Koffi Kpaye, enseignant-chercheur, University of Lome
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.