Au Burkina Faso, malgré un contexte sécuritaire difficile, une équipe d’agronomes accompagne des producteurs de sorgho vers une agriculture plus intelligente et résiliente.
Un petit matin de septembre 2022 : Hamado Sawadogo et son équipe d’agronomes ont quitté la ville de Ouagadougou aux aurores. Ils filent vers le nord-ouest rejoindre un groupe de paysans de la commune d’Arbollé.
Le pick-up abandonne le goudron puis progresse en zigzag sur une piste de latérite, contournant les flaques boueuses et les ornières profondes.
Comme chaque année au mois de septembre, les pluies de l’hivernage ont transformé les savanes arborées du centre Burkina en parcs humides verdoyants. Tout autour du convoi, les épis de sorgho surgissent en larges bouquets entre les bosquets d’acacias, les herbes folles et les arbres à beurre de karité.
Hamado Sawadogo est agronome à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso (INERA). Depuis 1993, il accompagne des paysans burkinabè en testant avec eux toutes sortes d’innovations.
Mais, il y a quelques années, son travail a été profondément bouleversé lorsque des groupes djihadistes armés ont envahi une grande partie du pays. Certains terrains d’intervention ont dû être abandonnés ; d’autres sont restés accessibles, mais au prix d’expéditions courtes.
Par chance, la commune d’Arbollé est pour le moment épargnée. Ces nouvelles conditions de travail n’ont pas pour autant découragé Hamado Sawadogo :
« En dépit du contexte d’insécurité, les recherches se poursuivent au côté des paysans pour proposer des solutions agroécologiques adaptées aux changements climatiques. »
Un champ-école où chercheurs et paysans travaillent ensemble
Le groupe de paysans attend les chercheurs au niveau du « champ central » d’Arbollé. Cette parcelle de 1 hectare est utilisée depuis 2021 comme lieu d’expérimentation agronomique et de co-apprentissage.
Avec l’appui du projet Fair Sahel, pas moins de 15 innovations agronomiques ont été mises à l’épreuve en 2022 : cultures associées, rotations, nouvelles variétés, jachères améliorées, nouvelles variétés de sorgho et de niébé, etc. Les options techniques à tester ont été sélectionnées en juin 2022 via une démarche participative.
Trois mois plus tard, les idées qui avaient germées lors de l’atelier ont pris vie dans un patchwork coloré de petites placettes.
Intensifier écologiquement les cultures
Le groupe progresse rapidement dans les allées du champ central. Des feuilles A4 accrochées à des piquets indiquent aux visiteurs les options techniques en cours d’expérimentation : zaï, demi-lunes, labour, mucuna, bracharia… autant de noms vernaculaires ou exotiques qui résonnent comme des promesses pour l’avenir de l’agriculture burkinabè.
Dans cet essai conduit sur le terrain, on cherche avant tout à « intensifier écologiquement » les systèmes de culture. Il faut intensifier, car l’agriculture doit répondre aux besoins alimentaires croissants d’une population en constante augmentation ; mais le faire écologiquement, sans quoi les ressources de base dont dépend l’agriculture pourraient bien disparaître.
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Traditionnellement les systèmes agricoles à base sorgho étaient équilibrés grâce à la jachère, une pratique qui consiste à laisser les champs en friche pendant une à plusieurs années. Elle permettait de reconstituer la fertilité naturelle des sols et de réduire la pression parasitaire.
L’équilibre reposait aussi sur la rotation des cultures, le sorgho étant précédé par le niébé, le sésame ou encore l’arachide.
Mais, au cours des dernières décennies, l’agriculture de la région a été fragilisée, la jachère tendant à disparaître en raison de la pression foncière. Il en résulte une baisse de fertilité des sols que les producteurs cherchent tant bien que mal à compenser avec des engrais chimiques. L’utilisation systématique de ces produits provoque en retour une dévitalisation des sols agricoles.
Un vote et des débats
Après la visite du champ central, les paysans et paysannes se réunissent à l’ombre d’un grand arbre et procèdent, à l’invitation des chercheurs, au vote : il s’agit d’élire les options agronomiques qui leur semblent les plus prometteuses.
Ils doivent également motiver leur choix, ce qui ouvre des débats contradictoires : à la grande surprise des chercheurs, les participants optent majoritairement pour les cultures « pures », c’est-à-dire celles qui correspondent aux usages locaux. Un comble pour un projet d’appui à l’innovation agroécologique qui prône les associations culturales ! Comment interpréter ce vote paysan ?
Il faut d’abord reconnaître que certaines des innovations testées ne sont pas encore agronomiquement au point. Les associations culturales n’ont pas toutes bien fonctionné en raison de phénomènes de compétition pour les nutriments et la lumière. Ensuite, il semble que les agriculteurs évaluent les innovations agroécologiques en se limitant à un critère de rendement à court terme. Le regain de fertilité et de biomasse fourragère que les plantes de service apportent n’a visiblement pas suffi à les convaincre, eux qui cherchent avant tout à sécuriser leur alimentation.
Accompagner la transition agroécologique ne doit donc pas se limiter à de simples expérimentations, aussi participatives soient-elles ; encore faut-il apporter de nouveaux cadres d’évaluation des performances agronomiques et se donner du temps pour progresser par essai et erreur dans la conception des systèmes de culture. Il faut enfin apporter des filets de sécurité alimentaire afin que les paysans puissent persister sans crainte dans l’innovation.
Un réseau de producteurs-pilotes
Dans les villages environnants, ce sont les paysans eux-mêmes qui prennent les rênes des essais agronomiques.
À l’issue de la première année du projet, ils ont sélectionné des innovations issues du champ central et ont testé ces dernières directement dans leurs parcelles. Les 15 producteurs engagés ont ainsi formé un réseau de « champs satellites » (par opposition au « champ central » évoqué plus haut). Fati Sawadogo, productrice à Arbollé, partage son expérience :
« J’ai découvert plusieurs associations culturales dans le champ central, et j’ai décidé de les répliquer chez moi à ma convenance […]. J’ai alterné deux lignes de sésame et deux lignes de niébé et comparé le résultat avec le niébé seul […]. Les nouvelles connaissances apportées par le projet me permettront à terme d’améliorer mes pratiques culturales. »
Ce type d’essai multi-local facilite l’appropriation des innovations par les communautés paysannes.
Une base arrière pour l’innovation
À 100 km d’Arbollé, dans la banlieue de Ouagadougou, la station agronomique de Gampela abrite des recherches agronomiques de pointe qui alimentent les dynamiques d’innovation conduites en milieux paysans.
Ici, des chercheurs du Cirad et de l’INERA testent une large gamme de « plantes de services » : mucuna, arachide, haricot mungo, crotalaire, bracharia… La majorité de ces espèces se trouvent déjà dans le milieu naturel en Afrique, mais leur intérêt agronomique n’avait jamais été étudié auparavant.
Lorsqu’elles sont cultivées en rotation ou en association avec le sorgho, ces plantes enrichissent les systèmes de culture en améliorant la fertilité des sols, en produisant du fourrage et/ou des denrées consommables. Une manière d’encourager les paysans à adopter des « jachères améliorées ». La station de Gampela est également un lieu de conservation et de sélection de variétés locales de sorgho.
Les essais de la station de Gampela ainsi que les champs centraux et satellites d’Arbollé ne sont qu’une composante d’un dispositif bien plus large. Le projet Fair Sahel soutient en effet des démarches de co-conception similaires dans d’autres régions du Burkina, ainsi que dans deux autres pays sahéliens, le Sénégal et le Mali.
Amélie d’Anfray (Cirad) est co-autrice de cet article.
Raphaël Belmin, Chercheur en agronomie, photographe, accueilli à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA, Dakar), Cirad
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.