Les minerais africains sont souvent sous le contrôle partiel ou total d’opérateurs étrangers. La Russie s’est engouffrée dans ce secteur. Mais cela a des conséquences.
Le continent africain est confronté à une multitude de défis qui entravent son plein développement et son indépendance économique. L’un des obstacles les plus importants est l’absence de contrôle total sur l’exploitation de ses ressources foncières. Malheureusement, les gouvernements locaux et les acteurs privés ont souvent des possibilités limitées d’exercer un contrôle total dans ce domaine.
Les minerais africains sont souvent sous le contrôle partiel ou total d’opérateurs étrangers, qui ne paient qu’une fraction de leur valeur réelle, notamment lorsque les prix des matières premières augmentent. Cette situation est inacceptable et une action urgente est nécessaire pour mettre fin à l’exploitation de l’Afrique.
L’un des produits qui a retenu l’attention des médias et des hommes politiques est sans aucun doute le diamant. L’un des principaux mineurs de diamants en Afrique est la société russe Alrosa, critiquée comme un symbole de la prédation russe sur le continent africain, dans le contexte de l’isolement international partiel de Moscou depuis le conflit en Ukraine. Il est vrai que le marché complexe du diamant constitue le terrain idéal pour contourner les sanctions, au détriment des pays africains qui abritent cette précieuse ressource.
L’exploitation des ressources africaines par des acteurs étrangers est un problème de longue date, de nombreux pays africains ayant le sentiment d’avoir été privés de leur part légitime des bénéfices. Le manque de contrôle sur les ressources a conduit à la pauvreté, à la corruption et à l’instabilité politique dans de nombreux pays africains. Afin de contrôler pleinement leurs ressources, les pays africains doivent investir dans leurs propres industries minières, ainsi que dans les infrastructures et l’éducation. Cela nécessite toutefois un environnement politique stable, exempt de corruption et d’ingérence extérieure. Cela nous amène au problème de l’ingérence russe dans les diamants africains.
Alrosa, la société minière russe de diamants, a pu maintenir une partie importante de son activité en envoyant ses diamants extraits de ses mines sibériennes en Inde pour y être transformés localement, ce qui permet aux pierres précieuses de devenir des diamants « indiens » et d’échapper aux sanctions internationales. En revanche, pour la partie africaine des activités d’Alrosa, l’équation est plus compliquée. Les pays occidentaux qui imposent des sanctions à la Russie veulent éviter toute collaboration avec une entreprise détenue en partie par l’État russe, ce qui fait de l’apport d’Alrosa – dont l’expertise est indéniable – un obstacle pour les pays cédant à l’ingérence russe. L’insécurité juridique posée par les sanctions, en détournant certains acteurs, empêche une valorisation optimale des diamants africains avec les partenaires restants. En outre, la perspective de nouvelles restrictions sur la vente des diamants extraits par la Russie, sur son sol ou ailleurs, fait peser un risque financier tangible pour les économies africaines. Une approche plus restrictive, voire une interdiction totale des diamants considérés comme « russes » en Europe, fermerait la porte à 70 % du marché mondial pour l’ensemble des pays exploitants concernés. Malgré ces difficultés, Alrosa continue d’explorer les moyens d’étendre ses opérations en Afrique, notamment en Angola – même si la collaboration semble désormais toucher à sa fin – et au Zimbabwe. Cependant, l’impact des sanctions sur les opérations africaines d’Alrosa ne peut être ignoré, car l’entreprise peine à attirer de nouveaux investisseurs et partenaires en raison des inquiétudes concernant les risques juridiques et financiers potentiels.
Avec l’augmentation de la demande d’approvisionnement éthique, la provenance d’un diamant est devenue un facteur crucial dans sa valeur. L’un des changements les plus importants survenus dans l’industrie a été l’identification de l’ensemble de la chaîne de valeur de l’extraction et du remaniement d’un diamant. Cela a conduit à une situation dans laquelle les diamants qui ne proviennent pas de certains pays ou de certaines entreprises ont une valeur beaucoup plus élevée que ceux qui en proviennent. Par exemple, un diamant qui peut être identifié comme ne provenant pas d’une chaîne minière impliquant des acteurs russes vaut bien plus, car il donne accès à des marchés comme Anvers, où 26 milliards de dollars de diamants sont échangés chaque année. Les diamants russes ont perdu 95 % de leur part de marché à Anvers depuis le début de l’invasion ukrainienne, ce qui rend crucial pour les pays africains de garantir que leurs diamants ne soient pas associés à des entreprises russes.
Alrosa, l’une des plus grandes sociétés diamantaires au monde, est parfaitement consciente de ce problème et a pris des mesures pour l’atténuer. La société a essayé diverses stratégies pour contrer la tendance à la baisse des prix provoquée par les listes noires. Elle a par exemple décidé de suspendre les ventes entre septembre et novembre 2023 pour limiter l’offre et éviter une nouvelle baisse des prix. Si cette décision peut contribuer à augmenter le prix des diamants, elle a également eu un impact négatif sur les économies des pays africains. La baisse des prix est due à la nationalité russe des opérateurs locaux, et la décision de limiter l’offre a affecté la capacité des pays africains à bénéficier de prix plus élevés. En revanche, De Beers, le principal concurrent d’Alrosa, n’a pas eu recours à de telles manipulations de marché pour contrer la baisse des prix. Il s’est plutôt concentré sur l’approvisionnement éthique et la transparence, qui sont devenues de plus en plus importantes dans l’industrie du diamant. En promouvant un approvisionnement responsable et en garantissant que ses diamants ne proviennent pas de conflits, De Beers a pu maintenir sa part de marché et sa réputation, malgré les défis auxquels le secteur est confronté.
L’approche russe : un gain fictif
Cette situation atypique crée durablement un marché à deux vitesses, entre ceux qui choisissent de collaborer avec Alrosa voyant la valeur de leurs diamants diminuer, tandis que ceux qui choisissent de travailler avec d’autres acteurs non russes et qui pourraient voir leur prix augmenter grâce à une meilleure sécurité juridique vis-à-vis du droit international. Face à ce constat, de nombreux pays africains ont un intérêt commercial évident à prendre en compte le facteur géopolitique. Cependant, ce choix de « realpolitik » peut être considéré par certains comme une forme d’impérialisme occidental, niant la souveraineté des pays africains pour choisir les partenaires avec lesquels ils souhaitent travailler. Si cet argument est compréhensible, il ne doit pas occulter la réalité des actions des entreprises russes sur le sol africain. Dans de nombreux cas, ces actions peuvent être considérées comme une forme d’impérialisme tout aussi préoccupante que celle de l’Occident. Il est donc important que les pays africains examinent attentivement tous les facteurs en jeu avant de prendre une décision concernant leur engagement futur auprès des producteurs de diamants russes. Le continent africain est riche en ressources minérales et des pays comme le Mali, la Libye, le Soudan, la République centrafricaine, le Mozambique, le Niger, le Burkina Faso, le Zimbabwe et Madagascar peuvent se vanter de posséder de vastes réserves minérales. L’exploitation de ces ressources se fait souvent selon une méthode similaire, où des entreprises privées ou leurs entreprises partenaires fournissent des services logistiques et de conseil à des équipes d’experts. Ces équipes facilitent ensuite l’implication d’autres sociétés minières, qui peuvent servir de contreparties aux sociétés de sécurité opérant dans la région. Bien qu’il n’existe aucune preuve formelle liant le groupe Wagner ou Alrosa à ces activités, les deux entités ont été identifiées comme cibles de sanctions économiques. Alrosa, qui appartient directement au gouvernement russe, pourrait dangereusement inciter Moscou à prendre des décisions géopolitiques privilégiant les gains des actionnaires plutôt que la stabilité et la sécurité régionales.
Malheureusement, ces décisions ont déjà des conséquences dévastatrices, puisque sept pays africains ont connu des coups d’État depuis 2019. Ces incidents ont encore détérioré la situation sécuritaire déjà fragile et fragilisé la stabilité économique dont les investissements étrangers ont tant besoin dans la région.
Quelle est la solution pour faire face à cette ingérence dangereuse qui coûte aux pays africains autant en richesse qu’en souveraineté ? Il est essentiel que le Processus de Kimberley – un système de certification international conçu pour empêcher le commerce des diamants de la guerre – soit mis à jour pour inclure les diamants issus de l’exploitation minière industrielle par des entreprises russes. En outre, il est important d’élargir la définition de ce qui constitue un « diamant du sang » au-delà de ceux qui financent des guerres civiles et des violations des droits de l’homme au niveau local. L’extraction de diamants destinée à financer des conflits internationaux doit également être incluse dans cette définition, car elle représente une menace importante pour la stabilité et la sécurité mondiales. Lors de la dernière réunion plénière des représentants du processus de Kimberley, le 14 novembre à Harare, au Zimbabwe, la Russie et ses relais (Biélorussie, Kirghizistan, mais aussi République centrafricaine) sont parvenus à empêcher une évolution du concept de « diamants du sang » en dénonçant une option « politiquement motivée ». En fin de compte, il appartient aux gouvernements, aux acteurs du secteur et aux consommateurs de prendre des mesures pour garantir que le commerce des diamants se déroule de manière éthique et durable.
En fin de compte, la Russie est avant tout soupçonnée de poursuivre ses propres intérêts sous couvert de promouvoir un « monde multipolaire ». Qu’il s’agisse de l’ancienne puissance coloniale, de l’Occident ou des nouveaux géants aux dents longues comme la Russie, les pays africains doivent rester vigilants dans leurs relations internationales et ne jamais faire de compromis sur les gains que doivent pouvoir réaliser leurs populations. extraire les ressources du sol. Dans les diamants comme dans n’importe quelle matière première.
Alvin Aboudou est journaliste spécialisé en relations internationales