L’Europe a promis une enveloppe d’aide financière de 1 milliard d’euros à Tunis, si le pays réussit à empêcher les flux migratoires vers le Vieux-Continent. Un chantage qui bénéficie, pour le moment, à Kaïs Saïed.
Le président tunisien l’a dit haut et fort : son pays ne sera pas « le garde-côtes » de l’Europe. Alors que les dirigeants européens prennent à bras le corps le dossier migratoire, la Tunisie fait pression sur eux. Tunis est toujours bloquée dans ses négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Le président Kaïs Saïed refuse de répondre aux exigences de l’institution financière, qui demande la suppression des subventions sur les denrées essentielles et la privatisation de plusieurs entreprises publiques. Deux conditions indispensables pour débloquer les 2 milliards de dollars attendus.
Sauf que Kaïs Saïed préfère faire sans, plutôt que de faire des compromis politiques. Conséquence : depuis plusieurs semaines, un drôle de ballet diplomatique s’est mis en route en Tunisie. On a vu tour à tour la Première ministre italienne Giorgia Meloni, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ou encore le Premier ministre néerlandais Mark Rutte se rendre à Tunis ces derniers jours. Meloni s’est même déplacée par deux fois en moins d’une semaines en Tunisie pour tenter de rabibocher le locataire du palais de Carthage et le FMI.
Un autre émissaire européen s’est rendu sur place : cette semaine, ce fut au tour de Gérald Darmanin, le ministre français de l’Intérieur, de s’entretenir avec Kaïs Saïed. Le membre du gouvernement français a d’ores et déjà annoncé le déblocage d’une aide de 25,8 millions d’euros, pour que Tunis acquière des équipements lui permettant de lutter contre les départs de migrants et réfugiés vers l’Europe. Darmanin espère que Tunis pourra « contenir le flux irrégulier de migrants et favoriser leurs retours dans de bonnes conditions ».
Les flux migratoires, un levier pour Kaïs Saïed
Le ministre français assure, lui aussi, que la Tunisie ne doit pas devenir « le garde-frontières de l’UE, ce n’est pas sa vocation, mais en revanche, nous devons travailler à éviter que dans les pays de départ » des migrants illégaux. De son côté, l’Europe a débloqué plus de 100 millions d’euros et l’UE assure qu’elle « doit travailler » avec le président Kaïs Saïed sur le sujet de l’immigration. Ylva Johansson, la Commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, assure que, malgré tout, elle continuera « probablement à critiquer » la Tunisie et sa gouvernance.
Mais en réalité, l’UE veut surtout mettre la pression à Tunis. Un véritable jeu du chat et de la souris. La question migratoire ne semble être qu’une amorce. L’Europe, comme le FMI, affirme en effet être capable de donner une plus grosse aide financière — estimée à 1 milliard d’euros — à la Tunisie, si le pays met en œuvre certaines réformes. Comme la Turquie avant elle, la Tunisie sait qu’avec les migrants, elle dispose cependant d’un levier non négligeable pour que le FMI et l’UE fasse des concessions. « Il est de notre intérêt commun de renforcer notre relation et d’investir dans la stabilité et la prospérité », avait assuré Ursula von der Leyen ces derniers jours.
Mais Kaïs Saïed n’est pas dupe : il sait que l’Europe craint avant tout une explosion du nombre de départs de migrants depuis la Tunisie si la crise économique s’aggrave. Et le président tunisien en joue. Le chef de l’État sait que les conditions imposées par le FMI et l’Europe feraient chuter sa cote de popularité. Il refuse donc, et c’est logique, de se plier aux règles qui lui sont demandées. Le Forum tunisien des droits économiques et sociaux a récemment publié un communiqué dans lequel il indique que l’UE fait du « chantage » et du « marchandage » à Tunis, déplorant le fait que l’UE propose de « donner de l’argent » à la Tunisie en échange d’une surveillance renforcée de ses frontières.