Au Bénin, la cité lacustre de Ganvié perd peu à peu de sa valeur, de son authenticité socio-écologique et se transforme progressivement en milieu très vulnérable pour l’Homme, la faune et la flore.
Ganvié, cité lacustre perchée sur le lac Nokoué est l’une des principales curiosités touristiques du Bénin. Témoin de l’ingéniosité et de l’adaptation de l’Homme à l’eau, cette cité est en train de subir des mutations qui risquent de lui faire perdre ses repères authentiques.
En plus d’être un habitat lacustre, c’est une cité socio-écologique auto construite qui comptait 37172 habitants en 2013, d’après le quatrième recensement général de la population et de l’habitat .
Le double caractère de cité socio-écologique et de milieu auto construit fait de Ganvié la plus grande cité lacustre vernaculaire en Afrique de l’Ouest. En termes de taille de population, il serait logique de penser à Makoko au Nigéria. Mais la différence est que Makoko, bien qu’il soit un habitat lacustre, est un bidonville informel situé dans la baie de Lagos. A contrario, Ganvié baigne dans un processus ethnoculturel et socio-écologique vieux d’au moins trois siècles. Ganvié est plus âgé que le pays dans lequel il se trouve : le Bénin.
Dans cet article, nous allons présenter succinctement sa transformation en cours. Puis nous critiquerons le comparatif de Venise d’Afrique.
Une cité tricentenaire
Le processus ethnoculturel qui a mené à la naissance de Ganvié remonte au 17e siècle et s’identifie aux migrations forcées engendrées par le commerce triangulaire et la traite des êtres humains. Durant cette période, de nombreux groupes ethniques et/ou claniques vont devoir fuir face aux attaques des puissants royaumes africains et des raids des marchands esclavagistes le long du golfe du Bénin. Dans la région du lac Nokoué, deux groupes se sont installés pour échapper à leurs voisins: les Dakomeynu et Sokomeynu.
Au 18e siècle, période de l’apogée du commerce triangulaire, ces groupes vont s’éloigner des premières zones d’occupation rendues vulnérables par la multiplicité des razzias esclavagistes. Ils vont devoir développer une architecture palafitte adaptée aux conditions lacustres. En plus de l’adaptation de l’architecture, c’est tout un mode de vie qui va émerger. Cette innovation va induire trois phases successives : un passé, l’avènement de tendances lourdes et la prospective étatique.
Le passé
Un regard sur le passé permet d’imaginer un habitat lacustre en état plus ou moins d’équilibre avec l’environnement écologique du lac. Lors de cette phase, les Ganviénu peu nombreux ont assis les bases d’un village lacustre sur pilotis. Ganvié est alors un condensé de richesses culturelles purement autochtones.
Les cases étaient sobres et rustiques, faites de matériaux végétaux et les ressources naturelles durablement exploitées. Durant cette phase qui dure jusqu’à l’indépendance du Dahomey (actuel Bénin) en 1960, Ganvié est devenue l’une des destinations touristiques favorites en Afrique de l’Ouest.
L’activité économique principale lors de cette phase est la pêche et la commercialisation des ressources halieutiques. Cette phase marque aussi le début des échanges avec les villages terrestres qui assurent le ravitaillement en produits vivriers agricoles.
Les tendances lourdes
On entre ensuite dans la phase des tendances lourdes caractérisées par un état de transformation avancée. En effet, comme tout milieu peuplé, la cité va progressivement subir l’effet de trois stress : l’accroissement démographique, les changements climatiques et l’amenuisement des ressources écologiques.
Entre 1962 et 1984, la population de Ganvié est estimée à 10 684 habitants avec taux de croissance démographique de 0,84 %. Elle va presque doubler en 2002 passant à 20768 habitants. Puis à 24501 et 30153 habitants respectivement en 2006 et 2011. Cette croissance dans un milieu écologique fragile va accélérer la pollution des eaux et la dégradation progressive du cadre d’habitat. Cette phase est aussi marquée par la difficulté des pouvoirs publics à investir à Ganvié. Les financements d’infrastructures scolaires, sanitaires et d’assainissement sont jugés supérieurs aux possibilités. Les coûts sont 30 à 50 % plus élevés par rapport aux villes terrestres béninoises.
On assiste aussi à un étalement incontrôlé du tissu urbain. L’étalement lacustre suit son cours dans toutes les directions sur le lac. Les forêts et plantations en bordure de lac sont concédées et exploitées. Ces dernières étaient les sources d’approvisionnement en matériaux végétaux indispensables à la réfection des maisons et la bonne marche des activités piscicoles. Leurs disparitions dans l’environnement immédiat du lac entraîne des effets domino.
Les populations font désormais face à la cherté de ces matériaux végétaux. Pour ceux qui peuvent s’en procurer, ils sont désormais disponibles sur de plus longues distances. Les populations se tournent donc vers les matériaux exogènes tels que le plastique et l’alumunium. L’architecture palafitte va muter en une architecture mixte alliant matériaux végétaux locaux et matériaux exogènes (tôle, ciment). Ces problèmes spécifiques entraînent de profonds changements dans les comportements culturels et les activités socio-économiques des populations.
L’activité de base qui est la pêche sera fortement impactée. La surpopulation et la surexploitation exercent une grande pression sur les ressources halieutiques qui tendent à diminuer en quantité et en qualité. Les échanges commerciaux quant à eux vont croître afin d’offrir plus d’opportunités à une population enclavée par les eaux. Les échanges deviennent si importants qu’ils plongent leurs racines jusqu’aux villes nigérianes de Badagry et Lagos. Face à la baisse des revenus et à l’accroissement du chômage, un changement d’état d’esprit pousse les populations à diversifier leurs sources de revenus en misant sur des activités liées au transport lacustre. Cela contribue au développement d’un système de transport informel mais dynamique.
Les échanges commerciaux et le transport lacustre se développent sans un plan préalable de pérennité de l’environnement écologique du lac. Les phénomènes de dégradation progressive de l’environnement s’y accentuent (pollution de l’air, pollution de l’eau, etc.) jusqu’à aujourd’hui.
En résumé, le milieu perd peu à peu de sa valeur; de son authenticité socio-écologique et se transforme progressivement en milieu très vulnérable pour l’Homme, la faune et la flore.
La prospective étatique
Puisqu’on assiste à la disparition progressive du mode d’habitat traditionnel qui faisait l’authenticité de la cité, les touristes seront moins nombreux à visiter la cité. Le cadre architectural en pleine mutation est moins attrayant et les conséquences se feront davantage ressentir sur le plan économique.
On note une baisse des revenus pour l’Etat béninois et la commune de Sô-ava. L’artisanat, bien qu’étroitement lié au tourisme, tente de compenser les pertes. Mais il souffre d’un manque de visibilité. Cette situation est paradoxale, compte tenu du potentiel touristique énorme de la région.
La transformation abrupte du milieu auto-construit est perçu par l’État béninois comme une opportunité économique pour le développement touristique. Les problèmes sont multiples : l’architecture sur pilotis, l’organisation traditionnelle de l’espace, le manque de matériaux locaux, la densité élevée des concessions et la pollution environnementale, etc. Ce sont des chantiers interconnectés auxquels il faudrait répondre.
Malgré ces enjeux existants, l’absence de projets infrastructurels étatique à caractère de développement socio-communautaire lors des décennies passées soulève la question de l’approche à adopter en matière d’aménagement. Des travaux débuteront tout de même en 2018 sans vraiment prendre en considération les stress urbains en cours. Et comme conséquence de cette intervention extérieure au processus d’évolution historique du milieu, l’Unesco met en garde contre un possible retrait de Ganvié de la liste indicative du patrimoine mondial.
Conclusion
Notre équipe de recherche recommande que les futures interventions tiennent compte d’études approfondies sur les populations dans leur vie quotidienne afin de comprendre leur réalité. Cette approche est essentielle car sans les Ganviénu, il n’y a pas de Ganvié.
Ganvié n’est plus un village lacustre, mais une cité lacustre. Cette cité lacustre similaire à une ville tertiaire de taille moyenne au Bénin mérite de la souplesse et de la connaissance profonde avant toute intervention amenant à son aménagement équilibré pour l’Homme, la faune et la flore. Et compte tenu de la richesse historique, culturelle et d’urbanisme bleu vernaculaire, il est aussi primordial d’infléchir le comparatif de Venise d’Afrique qui pèse dans l’imaginaire collectif. Les Vénitiens ont bâti Venise et à Ganvié, ce sont les Ganviénu qui ont bâti et ont fait prospérer la cité sur trois siècles. Ils sont les mieux placés pour répondre à la situation de dégradation actuelle et sont les acteurs qui pourront réellement infléchir les tendances observées.
Encourager l’imaginaire d’une Venise d’Afrique ne facilite pas le processus d’appropriation des caractères authentique et culturel africain qui sont profondément enracinés dans le quotidien, le vécu, la perception et la représentation de l’habitat lacustre. Cette critique est d’autant plus importante en contexte mondial de décolonisation des pensées axées sur le comparatisme nord-sud. Ganvié ne devrait plus être colonisé par des groupes de mots si une prise de conscience véritable des enjeux sociaux veut être fait. Ganvié est la Ganvié d’Afrique par respect envers l’héritage douloureux légué par les ancêtres ayant bâti cette cité tricentenaire.
Dominique A. Faïzoun, botaniste et pédologue, a contribué à la rédaction de cet article. Il est l’ancien chef service à la planification urbaine de la mairie de Sô-ava.
Fèmy Fagla, M. Urb., Doctorant en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.