L’Afrique est le continent où la connectivité coûte le plus cher. La fracture numérique ne favorise pas l’accès aux services et connaissances. L’UIT appelle les États à assurer à tous une connectivité suffisante.
Le nouveau rapport 2022 de l’Union internationale des télécommunications (UIT) sur la connectivité dans le monde montre que l’Afrique reste à la traine en matière d’Internet et de numérique.
Ainsi, en 2021, peut-on lire dans le rapport, on estime que 2,9 milliards de personnes dans le monde étaient toujours hors ligne. L’Asie-Pacifique concentrant la majeure partie (1,7 milliard) de cette population, suivie de l’Afrique avec 738 millions de personnes.
Mais, « en termes de pourcentage, l’Afrique est la région la moins connectée en 2020, avec 67 % de la population hors ligne, suivie de l’Asie-Pacifique (39 %) et des États arabes (34 %) », écrivent les auteurs du rapport.
Par ailleurs, apprend-on, plus de 60 % de la population en Europe vit à moins de 10 kilomètres d’un réseau de fibre optique, tandis que la portée des réseaux de fibre optique en Afrique n’est que de 25 % contre 22%d en Asie-Pacifique et 26% dans les États arabes.
Ce retard s’explique entre autres par un faible taux de pénétration d’Internet et un coût élevé de la connectivité.
« L’Afrique est en effet la région où la connectivité coûte le plus cher. Le prix d’un abonnement de base pour l’Internet mobile incluant 2Go de données pour un consommateur d’un pays africain coûte en moyenne 6,5% de son revenu mensuel », révèle Thierry Geiger, économiste senior et chef de la division des données et analyse à l’UIT, interrogé par SciDev.Net.
Thierry Geiger précise que « cela représente trois fois la valeur médiane mondiale (1,9%). Pour une connexion fixe à large bande, le coût médian en Afrique représente 18% du revenu moyen, soit plus de cinq fois la valeur médiane mondiale ».
Pour illustrer ce problème de coût élevé, Denis Kalenga, ingénieur logiciel s’appuie sur l’exemple de Torapos, une application mobile dont il est le promoteur et qui propose des réponses aux besoins des petites entreprises de République démocratique du Congo (RDC) en matière de gestion de leurs opérations quotidiennes (inventaires, ventes, clients, marketing, etc.) et de sauvegarde de leurs données.
« Hélas, les clients craignent de télécharger l’application et même ceux qui la téléchargent ne l’utilisent pas régulièrement en raison du coût de l’Internet associé à son l’utilisation », confie-t-il.
Clivage urbain-rural
Un constat qui le pousse à s’interroger sur l’avenir des start-up, car « comment peuvent-elles réussir lorsque leurs clients ont toujours la phobie des applications qui nécessitent un accès à Internet ? », s’inquiète l’ingénieur.
Toutefois, les coûts de la connexion varient au sein des pays. Les zones reculées où les populations ont des revenus faibles supportent paradoxalement des tarifs plus élevés.
En effet, sur le clivage urbain-rural, le rapport note que plus l’utilisation globale d’Internet est élevée, plus le fossé urbain-rural est petit.
« En Europe, par exemple, l’usage en milieu urbain était moins de 10 % supérieur à l’usage rural. Cela contraste fortement avec l’Afrique où l’utilisation d’Internet dans les zones urbaines était presque 3,5 fois plus élevée que dans les zones rurales », peut-on lire.
Par exemple, explique Thierry Gieger, « nous avons déterminé que dans le groupe des pays à bas revenu et à revenu moyen, le coût d’un abonnement Internet mobile de base était quatre fois moins cher dans les pays où la population urbaine représentant au moins 80% de la population que dans les pays où la population rurale représentait au moins 80% de la population », dit-il.
Taux d’accès
Le taux d’accès à Internet reste également faible dans plusieurs pays africains. Le chef de la division des données et analyse à l’UIT rappelle d’ailleurs que dans certains pays africains, « moins de 10% de la population utilisent Internet ».
Un rapport du Groupe Spécial Mobile Association (GSMA) publié en 2018 affirme qu’en RDC, 64,5 % des habitants n’ont pas accès aux services de la téléphonie mobile et seuls 13 % des habitants possèdent un Smartphone et 14 % ont accès à Internet.
Or, écrit ce document, « les technologies mobiles permettent d’offrir des services publics plus efficaces et d’améliorer l’accès des populations isolées et mal desservies aux services de santé et d’enseignement. Leur portabilité, leur traçabilité et leur puissance informatique abordable leur permettent de diffuser un large éventail de services fortement personnalisables auprès d’un grand nombre de personnes. »
« Ceux qui ne sont pas connectés ou qui sont mal connectés ne peuvent utiliser pleinement les services numériques, notamment les services de base et publics, un phénomène amplifié par la pandémie COVID-19. Ils ne peuvent pas non plus participer à l’économie numérique qui est une source importante d’emplois qualifiés », renchérit Thierry Geiger.
« Mais si la population n’a pas accès aux outils en ligne ou s’il lui en coûte un pourcentage considérable de son revenu pour être connecté tout le mois, personne n’embrassera cette culture. Cela signifie que les gens n’amélioreront pas leurs compétences et leurs connaissances. Ce qui aura un impact négatif sur eux-mêmes et sur le progrès du pays », analyse Denis Kalenga.
Transformation numérique
Toutefois, Paterne Kadiat, conseiller du ministre des Postes, télécommunications, nouvelles technologies de l’information et de la communication de la RDC, se veut plutôt optimiste.
S’il reconnait que l’Etat congolais a pris du retard dans sa transformation numérique, il relève que « aujourd’hui, la RDC est décidée à le rattraper, d’où la mise en œuvre du Plan national du numérique ».
« Les infrastructures de connectivité de base sont en train d’être établies pour baisser le coût d’Internet de manière drastique. Il y a encore du chemin à faire, certes, mais considérer Internet comme un luxe est une absurdité. Car, à ce jour, le coût d’un giga est quatre fois moins cher qu’il y a 5 ans », précise le conseiller.
Ajouté à cela, « les gouvernements mettent en œuvre ce qu’on appelle Fonds de service universel qui a pour but de promouvoir les télécommunications dans les milieux ruraux et périurbains… », confie Paterne Kadiat.
« Le fonds de service universel était perçu par l’Etat mais affecté au budget national. Désormais, ça ne sera plus le cas car un établissement public a été mis en œuvre pour gérer ce fonds », soutient-il.
En RDC, 3% des revenus bruts générés par les opérateurs des télécommunications alimentent ce Fonds.
Par ailleurs, d’après la directrice du bureau régional UIT pour l’Afrique, Anne-Rachel Inne, l’agence et le gouvernement congolais collaborent actuellement sur un projet portant sur « différents aspects allant de la connectivité des écoles et des communautés –projet GIGA a la cybersécurité des réseaux qui sont en train d’être mis en place par le gouvernement pour connecter le pays », explique-t-elle.
Le rapport de l’UIT rappelle la mission d‘assurer à tous « une connectivité satisfaisante » comme un des Objectifs de développement durable.
Cet article a été publié sur la version française de ScidDev.net et est reproduit avec leur aimable autorisation.