Les « brouteurs » ont désormais une place dans le dictionnaire français. Depuis une vingtaine d’années, ils ont mis en place un véritable système d’escroqueries en ligne.
« Escroc qui piège ses victimes sur Internet ». L’édition 2023 du Petit Robert met à l’honneur le « brouteur ». Pour les spécialistes du web, le concept est connu depuis de nombreuses années. Et si la presse attribue l’origine du terme à la série ivoirienne « Brouteur.com », diffusée depuis près de dix ans sur TV5 Monde, il date en réalité du début des années 2000. Le « brouteur » qui agit sur internet aurait ainsi été désigné « en référence au mouton, qui se nourrit sans effort », indiquait déjà Le Figaro en 2013. Déjà à l’époque, le business était florissant : les « brouteurs », en 2010, avaient réussi à empocher plus de 20 millions d’euros.
Nés en Côte d’Ivoire, les « brouteurs » ont donné du fil à retordre aux autorités locales. Le ministère ivoirien de l’Intérieur a, en 2011, voulu mettre un terme à cet pratique en créant une cellule spéciale de lutte contre la cybercriminalité. Mais sans réels résultats. Si bien que la pratique s’est étendue au reste de l’Afrique, et notamment au Nigeria, nouveau berceau du « broutage ».
Même Interpol s’inquiète de cette pratique. Il faut dire que les rapports montrent une prolifération de l’arnaque en ligne. En 2012, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) indiquait dans un rapport que « l’Afrique noire (…) développe une véritable culture de l’escroquerie en ligne ». Mais les « brouteurs », à la différence des autres cyberarnaqueurs, utilisent une particularité pour arriver à leurs fin : l’empathie. Et pour certains, c’est l’amour qui leur rapporte des centaines, voire des milliers, d’euros. Des « arnaques sentimentales » qui sont de plus en plus nombreuses.
Plaintes sans suite
« Pour susciter l’empathie et l’adhésion, les cyberescrocs mobilisent aussi une pathologie présente dans le quotidien des populations du Nord : le thème du cancer révèle pourtant une des failles de l’intrigue. Par moments, les brouteurs perdent la maîtrise du jeu de miroir et ne donnent plus à voir des moribondes françaises, mais des malades africaines, aux prises avec des difficultés de soins. Sous les maillages bien rodés de l’escroquerie, surgissent de véritables récits de soi et des siens », résume Nahema Hanafi, maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine à l’université d’Angers.
L’une des caractéristiques du « broutage », c’est également sa capacité à s’adapter aux évolutions techniques. Autrefois, c’est par e-mail que se déroulaient les arnaques. Puis Facebook et Messenger sont devenus les terrains de jeu des « brouteurs ». Les canaux habituels ont ensuite évolué : Twitter ou encore Snapchat, des plateformes devenues populaires, ont donc été investies par les « brouteurs » qui sont donc désormais partout.
Et surtout, ils passent bien souvent entre les mailles du filet. En France, une majorité de plaintes restent en effet sans suite, malgré le travail d’associations qui tentent de faire de la prévention. Quant au profil des victimes, il est souvent le même : des personnes célibataires ou divorcées, dont l’âge approche de la soixantaine, qui sont généralement flattées d’être approchées par de jeunes femmes et hommes en quête d’amour.