Alors que le dialogue national au Tchad a été reporté, la France semble préoccupée par l’absence d’accord entre le pouvoir et les rebelles. Mais alors que le quai d’Orsay et la machine diplomatique français condamnent les autres régimes militaires en Afrique, pourquoi Paris soutient toujours Mahamat Déby ?
Un année s’est écoulée depuis la prise de pouvoir de Mahamat Idriss Déby au Tchad. Le jeune président du Conseil militaire de transition (CMT), fidèle aux traditions diplomatiques de son défunt père, a tout fait pour rester en bons termes avec la France. Même si, objectivement, les deux pays ont connu quelques tensions, notamment en raison de la durée annoncée de transition.
Des tensions rapidement dépassées. De son côté, la diplomatie française s’est remarquablement abstenue de faire pression sur le jeune putschiste. Mahamat Déby, lui, a installé un gouvernement civil, jugé fantoche par l’opposition tchadienne, et essaye tant bien que mal de réunir les groupes rebelles autour d’un calendrier de transition.
Pour l’opinion publique, cette relation entre la France et le Tchad ne montre rien de nouveau. Mais institutionnellement, « le cœur mort de l’Afrique » ne fait pas l’exception vis-à-vis d’autres pays francophones de la bande sahélo-saharienne régis par des militaires — le Mali, la Guinée et le Burkina Faso. Si ce n’est que, contrairement à ces derniers, le Tchad n’est pas inquiété par l’ingérence française dans sa transition politique. En observant les déclarations des officiels français, le soutien de Paris pour Mahamat Déby n’est pas un secret. Ses raisons, elles, sont gardées plus jalousement.
Un effet domino qui atteindra le Tchad ?
Le ministère français des Affaires étrangères a publié un long communiqué apportant « son soutien aux efforts déployés dans le sens (de la recherche de consensus) par les autorités » au Tchad. Une annonce qui intervient à peine deux jours après l’annonce, par le CMT de Mahamat Déby, du report du dialogue national prévu pour le 10 mai.
Un énième retard qui, s’il s’était passé dans un autre pays africain, aurait donné lieu à une tempête de menaces françaises. « Le soutien français pour Déby n’est pas par souci de respect de la souveraineté d’un pays ami », ironise la presse tchadienne. Surtout, la polémique autour de la rupture des accords de coopération militaire entre le Mali et la France a soulevé des questions au Tchad.
Le membre de l’ONG Urgences Panafricanistes, Ali Alhadj Allahou, a déclaré : « Ce qui se passe maintenant au Mali peut arriver au Tchad, car les Tchadiens d’hier ne sont pas les Tchadiens d’aujourd’hui et qu’on ne peut pas les faire dormir debout donc ça suffit ». Ajoutant : « Le néocolonialisme est basé sur ces accords de coopération parce que personne ne peut avoir un autre partenaire que la France et ce n’est pas normal. La France doit quitter l’Afrique, les peuples n’ont pas besoin d’elle ».
L’animateur du collectif Afriques en Lutte, Paul Martial, insiste pour sa part que le Tchad « est devenu au fil du temps une des pièces maîtresses de l’armée française. Rappelons que le poste de commandement de l’opération Barkhane est basé à N’Djamena, la capitale tchadienne ». Il rappelle notamment que depuis le début des opérations antiterroristes au Sahel, « ce sont les combattants tchadiens qui ont été en première ligne et ont payé un lourd tribut en vies humaines ».
La France et Déby, une fois n’est pas coutume
Malgré les quelques sorties de Mahamat Déby où il exige que la France tienne ses promesses vis-à-vis de N’Djaména, Paris fait preuve de finesse dans ses rapports avec le dirigeant militaire.
C’était plus ou moins le même rapport que l’Etat français avait, pendant des décennies, avec les dirigeants tchadiens. En 1981, le coup d’Etat de Hissène Habré était soutenu par la France. Habré avait, ensuite, commis un pogrom inédit dans le pays, exécutant ses opposants et leurs familles par milliers.
Puis, ce fut au tour d’Idriss Déby Itno, arrivé au pouvoir également après un coup d’Etat, aidé par les services de renseignement français. Au décès du père de Mahamat Déby, l’année dernière, dans sa fameuse interview lors de laquelle il accusait la France de l’obliger à briguer son dernier mandat, Idriss Déby avait déclaré : « La France est intervenue pour changer la Constitution » en 2002.
Le sociologue français Roland Marchal affirme que l’armée française « n’a plus quitté le Tchad depuis 1969, notamment avec une installation, non pas via une base militaire, mais au titre d’un accord de coopération ». Ce qui expliquerait selon le spécialiste « le storytelling militaire sur le Tchad, qui décrivait cette armée comme la meilleure d’Afrique avec des français qui, historiquement, ont eu tendance à minimiser les problèmes de fonctionnement de cette armée et les nombreuses violations des droits de l’Homme qu’elle a commis ».
Si le quai d’Orsay continue, donc, de soutenir le clan Déby au Tchad, c’est principalement afin de garantir la continuité de la présence militaire française au Sahel. Cette dernière, menacée par la ligne diplomatique du Mali, mais également du Burkina Faso, suffira-t-elle à justifier l’installation d’un nouveau régime dictatorial au Tchad ?
#ilsontdit La France 🇫🇷 attachée à un dialogue “dans les meilleurs délais possibles” #Tchad 🇹🇩 pic.twitter.com/h8gEHo44Yo
— tchadinfos (@tchadinfos) May 3, 2022