Huit mois après le coup d’Etat en Guinée, le président de la Transition Mamady Doumbouya estime à 39 mois la transition, avant que l’Etat ne retrouve l’ordre constitutionnel. Une proposition qui sera soumise au parlement, mais qui provoque déjà l’ire des partis politique du pays.
Si l’on en croit la presse guinéenne, Mamady Doumbouya a « réussi l’exploit d’unir contre lui des partis jadis irréconciliables ». Porté par un peuple lassé par les échecs d’Alpha Condé, le putsch de Mamady Doumbouya, et la transition qui s’en suit depuis septembre dernier, a désormais du plomb dans l’aile. Aujourd’hui, le chef militaire du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a du mal à rassembler.
Une chute de popularité du dirigeant de la Transition en Guinée qui prend des proportions impressionnantes après qu’il a décidé, samedi dernier, de proposer enfin un calendrier de transition. Et ce dernier, de 39 mois, aura du mal à convaincre, que ce soit du côté de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), des Nations unies, mais également, et surtout, des populations, des partis politiques et la société civile.
Une décision attendue aussi. « Mamady Doumbouya veut établir des parallèles entre la transition guinéenne et malienne, et profiter de la popularité de cette dernière. Mais les contours de la transition guinéenne ne sont pas ceux de la transition malienne, et Doumbouya aura du mal à convaincre, même ses premiers souscripteurs, à accepter une période de transition aussi longue », déplore un diplomate guinéen.
Les réactions sont beaucoup plus houleuses au sein des partis politiques en Guinée. De l’ancien parti du pouvoir – pourtant bien timide depuis la chute d’Alpha Condé – jusqu’aux partis d’opposition qui défendaient le coup d’Etat, la dissidence est totale.
Comment en est-on arrivé là ?
Pour rappel, Mamady Doumbouya avait, en septembre dernier, réussi son coup d’Etat avec l’aide de son unité, le Groupement des forces spéciales (GFS) et le soutien d’une partie de l’armée. Avec le président Alpha Condé sous contrôle, il s’est rapidement imposé en tant que dirigeant du pays, aidé par l’impopularité croissante de son prédécesseur, due à son tour à une situation socio-économique qui ne cesse de se dégrader.
Sans grande surprise, le coup d’Etat de Doumbouya a été dénoncé par la communauté internationale. Toutefois, la liesse populaire de la chute de Condé, conjuguée au soutien de l’opposition et d’une grande partie de l’opinion publique guinéenne, a rapidement fait pencher la balance au bénéfice de la junte.
Depuis, Mamady Doumbouya et ses conseillers ont organisé plusieurs rencontres avec la classe politique, et reçu les représentants de la communauté internationale à quelques reprises afin de les rassurer. Et il faut dire que, contrairement à ses habitudes, la Cedeao a été plutôt clémente avec le nouvel occupant de Sékhoutouréya.
Mais alors que Doumbouya répétait qu’il ne « se fera pas dicter » un calendrier de transition, l’annonce de la junte tombe peu après le dépassement du délai du 25 avril suggéré par la Cedeao. La durée de transition de 39 mois choisie, finalement, aurait pour but d’être « un juste milieu » entre les propositions des participants aux Assises nationales.
Le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, Mory Condé, a mis en exergue, à la fin des consultations, que la durée de la transition devrait se situer entre 18 et 52 mois. Mais avec le boycott massif des consultations de la part des partis politiques, ces chiffres sont-ils réellement représentatifs ?
« Faire l’amour » à la Guinée
Pour Doumbouya, il était de prime abord quasi-impossible de contenter la Cedeao. Mais le soutien national de la société civile et des partis politiques était, lui, encore espéré. Jusqu’à samedi dernier.
Pour le moment, la Cedeao ne s’est toujours pas exprimée sur la proposition du chef d’Etat guinéen. Depuis Dakar, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a quant à lui appelé au « retour à l’ordre constitutionnel dans les délais les plus brefs ».
L’ancien parti du pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), a rejeté la décision de Doumbouya, appelant à un « calendrier consensuel » pour la transition.
Mais c’est surtout du côté du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), regroupant une vingtaine de partis d’opposition ayant milité contre Alpha Condé, que la surprise s’est créée. L’influent mouvement a émis un communiqué considérant une transition de 39 mois « inadmissible, inconcevable et inacceptable ». La formation politique comptait, pourtant, parmi les soutiens de Mamady Doumbouya. « L’attitude des autorités constitue une menace pour l’unité nationale », estime le FNDC.
Lire : Guinée : à quoi vont servir les Assises nationales ?
Certains partis du FNDC, et une grande partie de la société civile avaient boycotté, fin avril, les Assises nationales sur fond de manque de préparation. Et le mécontentement de la classe politique avec les choix de la junte ne date pas d’hier. Car il s’est manifesté lors de la mise en place, par le CNRD, du Bureau de suivi des priorités présidentielles (BSPP), une sorte de gouvernement de l’ombre aux pouvoirs étendus, contrôlé par la junte.
Mais, aussi, les déclarations du dirigeant de la transition à l’avènement de son coup d’Etat. Mamady Doumbouya avait déclaré : « Nous n’avons plus besoin de violer la Guinée, on a juste besoin de lui faire l’amour, tout simplement ». Si ses déclarations étaient alors dénuées de contexte, elles prennent aujourd’hui tout leur sens. Mamady Doumbouya est-il devenu indéfendable ?
Exactly. Africans need to keep a careful eye 🧐on this breed of African ‘leaders’ who are French-trained (Doumbouya is ex-Legionnaire 🇫🇷🎖👮🏽♀️), with foreign wives, etc. 🇬🇳 🇨🇮 pic.twitter.com/zlroiQaSwD
— Prince of the Nile (@Starchild737) May 1, 2022