Les prix des carburants continuent d’augmenter au Nigéria, pourtant premier pays producteur de pétrole en Afrique. Le président Muhammadu Buhari a présenté ses excuses au peuple, mais reste sous la menace d’une contestation de grande ampleur.
Coupures d’électricité, pénurie de carburants et grogne sociale… Au Nigéria, Muhammadu Buhari et son gouvernement fédéral n’ont pas une minute de répit depuis le début du conflit en Ukraine. Les sanctions sur la Russie ont des conséquences économiques qui dépassent les frontières de l’Europe. La fragile économie nigériane dépend particulièrement du pétrole. Or, si le Nigéria est le premier producteur africain de brut, il est aujourd’hui dans une situation délicate, tributaire des cours du pétrole… à l’importation.
Suite à la création d’une commission parlementaire chargée d’enquêter, cette semaine, sur l’inexplicable pénurie de carburants, l’Etat a voulu mettre en place une subvention qui n’a pas eu l’effet escompté.
Outre l’accaparement des carburants par les industriels qui ont profité de la légère chute des prix, l’offre est aujourd’hui de loin inférieure à la demande. Et le prix des carburants à la pompe paralyse les activités quotidiennes au Nigéria, tout autant que les fréquentes coupures d’électricité qui ne peuvent désormais plus être comblées par les groupes électrogènes fonctionnant au fuel.
La situation empirant, le président du Nigeria Labour Congress (NLC), Ayuba Wabba, a lancé ce vendredi un appel à la mobilisation. « Il y a des limites, les gens ne peuvent plus supporter les perturbations actuelles causées par la pénurie d’essence, en particulier l’augmentation des tarifs et les perturbations dans les transports terrestres, aériens, ferroviaires et maritimes, ainsi que les conséquences sur le secteur manufacturier », assure le syndicaliste.
Ayuba Wabba assure que « la crise énergétique actuelle pourrait conduire à une révolte si le gouvernement fédéral ne proposait pas de solution ».
Le NLC, un détonateur social
Le NLC, avec 4 millions de membres, représente près de 58 millions de travailleurs dans le pays. En 2000, le syndicat avait provoqué une grève générale de six semaines sur fond de réduction des subventions sur les carburants par Olusegun Obasanjo. Quatre ans plus tard, les militants de l’organisation avaient libéré, de force, le président du NLC Adams Oshiomhole alors qu’il avait été interpellé à l’aéroport d’Abuja.
En 2012, lors du mandat de Goodluck Jonathan, une grève générale de cinq jours, également provoquée par la baisse des subventions sur les carburants, avait complètement paralysé le pays. Le gouvernement avait finalement dû céder face aux demandes du syndicat et remettre les subventions à leur niveau.
Ces deux révoltes montrent à quel point, lorsque le prix du carburant augmente, le Nigéria subit les foudres du puissant syndicat.
Cette crise ne devrait donc pas déroger à la règle. Face à la menace d’une grève générale, le président de Skymark, la compagnie nationale d’électricité, Alhaji Muhammad Saleh-Hassan, a exhorté le public à « ne pas écouter les appels du NLC ». « Le NLC n’est pas juste envers lui-même et les Nigérians en lançant cet avertissement au gouvernement fédéral et en parlant de révolte. C’est injuste envers le gouvernement, les Nigérians et eux-mêmes également », assure Hassan, qui demande : « Comment peuvent-ils appeler à la révolte dans ce genre de situation ? La révolte est-elle la solution ? L’appel à la révolte n’a aucun sens ».
La détresse des dirigeants politiques
Le responsable risque bien de ne pas être entendu, d’autant qu’il préconise une solution qui, à court terme, ne devrait pas satisfaire les populations : « Au lieu de payer les subventions, le gouvernement pourrait profiter de la hausse des prix du pétrole à l’échelle mondiale pour en utiliser les bénéfices afin de développer des infrastructures ».
Mais ce qu’Alhaji Saleh-Hassan semble omettre, c’est que les infrastructures dont il parle, à savoir les raffineries, existent. Les cinq raffineries nigérianes, dont trois sont contrôlées par la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), ont besoin de beaucoup de maintenance afin de répondre aux normes de l’Organisation internationale de normalisation (ISO), qui empêchent le Nigéria de raffiner son pétrole.
Or, une promesse de financement de cette maintenance — à hauteur de 1,5 milliard de dollars — a été faite en mars dernier par le ministre du Pétrole Timipre Sylva. Et aujourd’hui, alors que le gouvernement nigérian se trouve au pied du mur, le président Muhammadu Buhari semble désemparé. Son gouvernement, lui, n’a donc pas tenu ses engagements.
« Je m’excuse auprès de toutes les populations pour la pénurie de carburants. Un plan d’action convenu plus tôt ce mois-ci est mis en œuvre pour remédier à la pénurie. A long terme, les fonds sont déjà mis en place pour maintenir le carburant disponible et abordable dans le pays », assure aujourd’hui le président nigérian.
Lui aussi craint une révolte populaire. Buhari exhorte le NLC à « être suffisamment raisonnable et indulgent, et à prendre en compte la situation mondiale ».
Mais alors que le gouvernement mobilise les forces de l’ordre autour des stations-service — la NNPC a également engagé trois sociétés privées de sécurité —, entre le détournement des carburants vers le marché noir et la détresse des responsables politiques, le NLC a aujourd’hui un boulevard pour passer à l’action.