La guerre entre la Russie et l’Ukraine a débuté la nuit dernière. Plusieurs pays africains craignent pour leurs ressortissants. Des intérêts diplomatiques et économiques sont également en jeu.
Alors que le conflit militaire entre l’Ukraine et la Russie, qui se présage depuis de longs mois, est devenu une réalité, se transformant en guerre, plusieurs pays africains seront privés de leurs échanges commerciaux avec Kiev. Certains d’entre eux ont d’ores et déjà rapatrié — ou sont sur le point de le faire — leurs étudiants en cours de formation en Ukraine.
Quelle relation entre Ukraine et pays africains ?
Maroc, Nigéria, Guinée, Mali, Angola, Ouganda… de nombreux pays africains entretiennent des rapports commerciaux solides avec l’Ukraine depuis les années 1960. A l’époque, l’Ukraine faisait alors encore partie de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), que Vladimir Poutine rêve de voir se reconstruire.
Sur les ordres de Moscou, qui cherchait aux débuts de la Guerre froide à ébranler l’influence de l’Occident sur l’Afrique post-coloniale, Kiev était un important fournisseur de l’Afrique. Notamment dans des secteurs comme ceux du blé, des équipements agricoles ou encore des produits de métallurgie…
L’Ukraine était aussi une destination de choix pour les étudiants africains, surtout pour ceux désirant devenir ingénieurs ou médecins.
Pour l’analyste et ancien ambassadeur ukrainien – en Egypte, Kenya et Soudan entre autres —, Andriy Veselovsky, « les relations entre l’Ukraine et les pays africains n’ont pas beaucoup changé aujourd’hui ».
Et ce, en dépit de la fin de la Guerre froide et de l’effritement de l’URSS. D’un côté, explique le diplomate, la Russie a hérité des prés-carrés soviétiques en Afrique en matière de coopération militaire et d’industrie lourde. De l’autre, l’Ukraine a augmenté ses échanges en produits tels que le blé, le sucre, le métal laminé ou les engrais chimiques avec les pays africains.
Ces derniers s’élevaient, en 1996, à 210 millions de dollars et ont dépassé les 4 milliards de dollars en 2020. Les investissements directs ukrainiens ont atteint 810 millions de dollars en 2020. Toutefois, l’Ukraine moderne a du mal à rester compétitive en Afrique. « Les exports chinois, indiens ou brésiliens remplacent les produits ukrainiens et européens en Afrique », précise Veselovsky.
Un rapatriement des Africains désorganisé
Concernant la diaspora africaine, elle est aujourd’hui estimée à 76 000 personnes en Ukraine, en majorité des étudiants. D’ailleurs, parmi les dix pays d’origine des étudiants étrangers en Ukraine, trois sont africains, à savoir le Maroc, le Nigéria et l’Egypte.
Si les pays européens ont commencé le rapatriement de leurs ressortissants depuis plus d’une semaine, les pays africains, par manque de moyens — ou d’anticipation — ont tardé à initier les mesures préventives. Et alors que vient de débuter la guerre en Ukraine, des milliers d’Africains risquent de se retrouver pris entre deux feux.
Le Maroc, qui compte plus de 8 000 étudiants en Ukraine, a organisé plusieurs vols de rapatriement depuis lundi. C’est la compagnie aérienne des Emirats, Air Arabia, qui s’est chargée de lancer une série de vols entre Kiev et Tanger. Ces vols se poursuivront certainement dans les prochains jours.
Le Nigéria, de son côté, s’est contenté d’un communiqué énigmatique, exhortant ses ressortissants en Ukraine à « prendre leur sécurité individuelle et collective très au sérieux ». Selon Quartz, le site du ministère nigérian des Affaires étrangères est tombé en panne pendant plusieurs jours. Ce matin, le site de l’ambassade nigériane à Kiev affiche le même message, accompagné de numéros de téléphone d’urgence.
L’ambassade égyptienne, enfin, a exhorté ses ressortissants à obéir à l’état d’urgence décrété par Kiev. « A l’heure actuelle, l’important est de ne pas sortir de chez soi, de conserver ses papiers d’identité et de suivre les instructions des autorités ukrainiennes jusqu’à ce que la situation se stabilise », a déclaré l’ambassade d’Egypte en Ukraine.
Parallèle entre l’Ukraine et la colonisation
Peu de positions officielles concernant la situation en Ukraine ont filtré en provenance d’Afrique, si ce n’est de la part de l’ambassadeur kényan au Conseil de sécurité de l’ONU, Martin Kimani. L’adresse du diplomate devant l’assemblée, hier, a créé le buzz.
Kimani a cherché à établir un parallèle entre la colonisation en Afrique et le conflit russo-ukrainien. « Cette situation fait écho à notre histoire. Le Kenya et presque tous les pays africains sont nés de la fin d’un empire. Nos frontières n’ont pas été dessinées par nous-mêmes. Elles ont été tracées dans les lointaines métropoles coloniales de Londres, Paris et Lisbonne, sans aucun égard pour les anciennes nations qu’elles ont séparées », a affirmé Kimani.
Et l’ambassadeur kényan de poursuivre : « Au moment des indépendances, si nous avions choisi de poursuivre des Etats sur la base de l’homogénéité ethnique, raciale ou religieuse, nous serions encore en train de mener des guerres sanglantes ces dernières décennies. Au lieu de cela, nous avons convenu que nous nous contenterions des frontières dont nous avons héritées, mais que nous poursuivrions l’intégration politique, économique et juridique du continent ».
Le diplomate défend ainsi, directement, les frontières coloniales. En compagnie des deux autres pays africains siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU, le Gabon et le Ghana, le Kenya a condamné l’incursion militaire de la Russie en Ukraine.