Opposants emprisonnés ou en exil, répression de l’opposition, coup d’Etat institutionnel… Depuis plusieurs années, le Bénin de Patrice Talon est en train de devenir un Etat autoritaire.
Le 28 avril 2019, le Bénin perdait définitivement son image de pays démocratique. Tout débute en 2016. Alors simple candidat à la présidentielle, Patrice Talon promet qu’il ne fera qu’un seul et unique mandat de cinq ans. Il rêve alors d’être « porté en triomphe » par les Béninois. A peine élu, alors qu’il disait vouloir inscrire dans la Constitution de son pays le mandat unique de cinq, Patrice Talon tente une première fois de modifier les textes. Il tente notamment d’inscrire le mandat unique… de sept ans. Puis une seconde fois, sans succès.
Mais au début de l’année 2019, Patrice Talon montre un tout autre visage. Le président est à mille lieues du candidat Talon. Le chef de l’Etat, en janvier, prend le contrôle de la Cour constitutionnelle, dont il nomme les membres. Et il réussit un tour de force en interdisant aux partis d’opposition de présenter des candidats lors des élections législatives.
Dès lors, l’image de Patrice Talon s’écorne. Alors que se profilaient les élections législatives, la Cour africaine des droits de l’homme (CADHP) estime illégales les règles du scrutin. Le Front des Organisations Nationales contre la corruption estime alors que « la démocratie risque de tourner en dictature ». Mais les élections ont bel et bien lieu.
Du mandat unique à la présidence à vie ?
En 2020, alors qu’il avait promis de se retirer, Patrice Talon décide de se présenter à nouveau à la magistrature suprême prévue l’année suivante. Mais une fois encore, le président sortant fixe des règles à son avantage. Les opposants sont, un à un, écartés par la Cour constitutionnelle. Certains d’entre eux sont arrêtés et emprisonnés. D’autres sont forcés à s’exiler.
Le 4 décembre 2020, la CADHP est saisie concernant des violations des droits humains au Bénin et concernant les réformes constitutionnelles entreprises par Patrice Talon. La Cour écrit alors que « le Bénin a violé le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et le droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine. » Au total, la CADHP dénonce neuf violations des droits humains.
Parmi les griefs faits au président Talon, la CADHP déplore des violences et des « tirs à balles réelles » qui ont débuté après les élections d’avril 2019. La Cour dénonce également le manque de « garantie d’indépendance du pouvoir judiciaire » au Bénin. A l’époque, Patrice Talon a fait supprimer le droit de grève, et la CADHP demande son rétablissement.
Si en 2020, le président béninois a posé les bases de la dictature, il lui aura fallu à peine six mois pour mettre en œuvre sa nouvelle politique. D’un côté, la Cour africaine des droits de l’homme estime que si Patrice Talon est réélu, « son élection sera illégale sur le plan international ». Mais la CADHP n’a aucun moyen coercitif pour obliger les Etats signataires à se plier à ses décisions.
Les condamnations d’Aïvo et Madougou inquiètent les Etats-Unis
Alors que se profile l’élection présidentielle, seules trois candidatures sont validées, dont celle de Patrice Talon. En février 2021 débute une série d’arrestations. Les opposants Joël Aïvo et Reckya Madougou sont arrêtés avant d’être condamnés respectivement à 10 et 20 ans d’emprisonnement.
Un mois après les procès des deux opposants, la communauté internationale semble muette. La France et la Cedeao, notamment. Un ancien juge de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), Essowé Batamoussi, a pourtant tenté d’alerter l’opinion internationale quant à la partialité de la Cour et des pressions exercées par le pouvoir.
Un pays a cependant décidé d’élever la voix. Les Etats-Unis ont, au moment des procès d’opposants, déploré les pressions de la part du pouvoir sur la justice pénale. Washington a décidé, mi-décembre, de prendre des mesures concrètes et a annoncé une réduction de l’aide octroyée au Bénin via le Millennium Challenge Corporation (MCC), l’agence du Congrès américain.
Le MCC reproche le « déclin général sur plusieurs années de l’engagement du Bénin envers les critères d’éligibilité du MCC, et les principes de gouvernance démocratique ». Conséquence : l’agence annonce vouloir « réduire de manière significative la part du pays dans l’investissement régional ».
« Nous sommes alarmés par l’érosion continue de l’espace de dissidence, l’augmentation globale des restrictions à l’autonomie participative et à la liberté d’expression, et le ciblage systématique des personnalités politiques de l’opposition », indique un communiqué américain.