La précarité menstruelle est encore un sujet difficile à aborder en France. En Afrique subsaharienne, c’est tout simplement un impensé. Or ce phénomène pose de gros problèmes de santé publique.
Chaque jour, dans le monde, environ 800 millions de femmes et de filles ont leurs règles. Un tiers d’entre elles n’ont pas accès à de l’eau propre, à des toilettes privées, décentes et qui leur sont adaptées, ni à des protections pour vivre cette période avec dignité.
La question de la précarité menstruelle, c’est-à-dire de la difficulté pour des filles et des femmes à avoir accès à des protections hygiéniques, émerge depuis quelques années, notamment grâce aux médias. En 2019, une étude du journal Le Monde a révélé que, en France, une femme dépense en moyenne 3 800 euros dans sa vie pour son hygiène menstruelle (cette somme inclut les protections hygiéniques et autres frais directement liés aux menstruations, tels que les antidouleurs ou les consultations chez un gynécologue). Ces dépenses pénalisent particulièrement les femmes les plus vulnérables (les femmes pauvres, sans domicile fixe, réfugiées, etc.), creusant un peu plus les inégalités dont elles sont victimes.
En Afrique subsaharienne, près de 40 % de la population, dont une majorité de femmes, vit sous le seuil de pauvreté. Cependant, la précarité menstruelle reste taboue, peu prise en compte par les politiques publiques et mal étudiée par les scientifiques. Dans toutes les cultures, les règles ont été ou sont encore stigmatisées et considérées comme quelque chose de « sale » ou d’« impur ». Ainsi, les sujets relatifs aux menstruations doivent être tus et ne sont pas discutés ouvertement. Il a pourtant été démontré que le coût des protections est trop élevé dans cette région du monde et empêche les jeunes filles et les femmes de vivre leurs périodes menstruelles dans la dignité.
Des protections bien trop chères
À Kédougou, au Sénégal, plus de la moitié des femmes utiliseraient du tissu comme protection hygiénique durant leurs règles. La majorité d’entre elles précisent qu’elles y ont recours à cause du coût trop élevé des serviettes hygiéniques jetables. Or, ces tissus, s’ils ne sont pas adaptés et lavés correctement, peuvent provoquer des infections. C’est ainsi que près d’un quart des femmes interrogées dans cette région déclarent en avoir déjà eu au cours de leur période menstruelle.
Au Niger et au Burkina Faso, faute de production locale, les protections hygiéniques, comme les tampons, doivent être importées à des coûts exorbitants. Elles restent inabordables pour beaucoup de femmes.
Une étude au Kenya a même révélé que certaines jeunes filles scolarisées avaient des rapports sexuels tarifés dans le but de payer leurs protections hygiéniques, trop chères pour être prises en charge par leur famille.
Dans son livre Stop La précarité menstruelle : Le combat pour l’avenir des filles paru en septembre 2021, Aïssatou Ndahté montre les conséquences désastreuses que peut avoir la précarité menstruelle en Afrique de l’Ouest pour l’éducation des filles.
Pourtant les pouvoirs publics et les communautés peuvent agir. Le Parlement autonome d’Écosse est devenu en février 2020 le premier à voter une loi pour la gratuité des produits d’hygiène menstruelle. Récemment, plusieurs pays ont suivi ce mouvement, dont la Nouvelle-Zélande, la France et la Namibie, qui ont mis en place des réformes visant à rendre gratuites ou à détaxer les protections hygiéniques en vue de lutter contre la précarité menstruelle.
En Afrique de l’Ouest, de nombreuses initiatives émergent mais viennent principalement du milieu associatif. On peut citer par exemple celle de la militante togolaise Hamdiya Katchirika, présidente et fondatrice de l’association Empower Ladies (donner du pouvoir aux femmes), qui vise à sensibiliser les jeunes filles togolaises à l’hygiène menstruelle et leur offre des serviettes réutilisables ou jetables.
Par ailleurs, l’initiative HerWASH de l’organisation WaterAid a pour objectif d’améliorer l’accès à l’hygiène menstruelle des femmes et des adolescentes au Burkina Faso, au Liberia, en Sierra Leone et au Pakistan, et effectue également des actions de plaidoyer auprès des décideurs politiques.
Un problème qui persiste durant le post-partum
Les problématiques liées à l’hygiène menstruelle rejoignent celles des mères après leur accouchement. Les lochies, ou saignements post-partum, peuvent être abondantes et durent, en moyenne, de trois à six semaines. Malgré le nombre important de femmes concernées par ces saignements, peu d’informations sont disponibles sur ce sujet en Afrique subsaharienne et nombre de mères ne savent pas comment se protéger durant cette période. Or une hygiène inadaptée après l’accouchement peut avoir de lourdes conséquences pour la santé des femmes, comme la survenue d’une infection dite puerpérale.
Le projet Quali-Dec a pour objectif d’améliorer la prise de décision concernant le mode d’accouchement en Argentine, au Burkina Faso, en Thaïlande et au Vietnam. Pour démarrer ce projet au Burkina Faso, près de 700 femmes ont été interrogées sur les conditions de leur accouchement. Une partie du questionnaire s’intéressait aux dépenses effectuées par les femmes ou leur famille au cours de l’accouchement.
Depuis 2016, l’hospitalisation, les traitements, ou encore le transport du domicile jusqu’à l’hôpital sont théoriquement pris en charge par l’État burkinabé. Lorsqu’il leur a été demandé si elles avaient rencontré des frais supplémentaires qui n’avaient pas été pris en compte, plus d’un quart des femmes interrogées ont fait référence aux protections hygiéniques, pour des dépenses allant de 1 000 francs CFA (1,5 euro) à 20 000 francs CFA (30 euros). Le programme de gratuité de l’accouchement au Burkina Faso n’a pas inclus les protections hygiéniques lors du séjour à l’hôpital.
Cette question des coûts associés à la gestion des lochies n’a jamais été abordée dans la littérature scientifique, et aucune autre politique publique sur les questions du financement de la santé maternelle dans les pays d’Afrique subsaharienne ne prend en compte ces dépenses, pourtant inéluctables.
Alors, combien les femmes dépensent-elles réellement pour ces protections ? Quelles difficultés rencontrent-elles pour assurer une bonne hygiène et un confort après l’accouchement ? Comment prendre en compte ces dépenses dans les politiques publiques et les interventions mises en œuvre ?
Pour améliorer la capacité des femmes et des mères à avoir accès à une hygiène menstruelle décente, que ce soit pendant leurs règles ou durant le post-partum, davantage de recherche est nécessaire. La question de la précarité menstruelle en Afrique subsaharienne, et dans le monde en général, doit être mise en avant pour sensibiliser la société et les pouvoirs publics. L’hygiène menstruelle reste en effet une question taboue et un sujet difficile à aborder, alors même que les inégalités dont sont victimes les femmes sont encore creusées par la précarité menstruelle.
Marion Ravit, Docteure en Santé Publique, Postdoctoral research fellow, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.