L’approche de Macron à l’égard de la politique africaine s’inspire des stratégies des années 50 en raison notamment des similitudes avec la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, indique le chercheur Frank Gerits.
Le président français, Emmanuel Macron, s’est engagé à revoir les relations de son pays avec l’Afrique. En 2017, six mois après son investiture, il s’est rendu à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, où il a prononcé un discours annonçant une nouvelle politique française axée sur la jeunesse africaine.
Il voulait tisser de nouveaux liens avec l’Afrique francophone et anglophone tout en reconnaissant les traumatismes causés par le colonialisme français. La guerre d’Algérie, par exemple, pour l’obtention de son indépendance de la France, qui a eu lieu entre 1954 et 1962, reste une blessure ouverte pour de nombreux Africains.
Quatre ans plus tard, la visite de Macron a été suivie d’un événement clé illustrant la nouvelle orientation des relations Afrique-France. Il a accueilli le Nouveau Sommet France-Afrique à Montpellier, le 8 octobre 2021.
Des représentants de la société civile de France et d’Afrique se sont rencontrés pour discuter de sujets tels que « l’engagement citoyen et la démocratie » et « l’entreprenariat et l’innovation ». Le sommet, organisé avec l’aide de l’intellectuel et philosophe camerounais Achille Mbembe qui a également été chargé de rédiger un rapport sur les relations franco-africaines, devait être « radicalement différent ». Au lieu d’avoir des chefs d’État présents, les jeunes ont débattu entre eux.
Lors d’une table ronde, de jeunes entrepreneurs africains ont accusé Macron de perpétuer les politiques néocoloniales françaises en Afrique. Ils ont mentionné le soutien de la France à Mahamat Idriss Déby, le nouveau dirigeant du Tchad.
Cette critique de l’approche de Macron est partcilulièrement pénible pour le ministère français des Affaires étrangères car l’événement était censé éloigner la France de la Françafrique. Elle consiste à maintenir une sphère d’influence construite sur des alliances personnelles avec des hommes forts africains.
Cette forme de realpolitik a débuté sous le Président Charles de Gaulle (1959-1969) et a atteint son apogée sous Georges Pompidou (1969-1974). Jacques Foccart, qui était Secrétaire générale pour les affaires africaines et malgaches sous les deux présidences, est devenu leur homme de main. Surnommé « Monsieur Afrique », il est considéré comme le cerveau de plusieurs coups d’État en Afrique.
Retour vers le passé
Comme le montrent mes propres recherches, la nouvelle approche de Macron – qui consiste à se concentrer sur la diplomatie culturelle – n’a rien de nouveau, étant donné qu’elle a été testée dans les années 1950 sans succès.
Par ailleurs, il y a peu de chance d’obtenir de bons résultats cette fois encore, parce que cette approche ne correspond pas à la vision du monde des Africains – un monde composé d’impérialistes et d’anticolonialistes, où la nécessité d’une décolonisation fondamentale de la société est constamment mise en avant.
Le plan de Macron ne tient pas non plus compte des injustices d’un système économique inégalitaire dominé par le Nord au détriment du Sud. Selon lui, répondre aux « aspirations des jeunes » en Afrique améliorera les relations internationales.
Dans cette optique, la stratégie africaine de la France des années 1950, qui reposait sur la diplomatie culturelle – un échange d’idées, de valeurs, de traditions et d’autres aspects de la culture – est en train d’être relancée.
Après 1945, les syndicalistes africains et d’autres membres de la société civile commençaient à formule des revendications politiques et ont réclamé de nouvelles relations avec Paris. Madagascar était en proie à une violente révolte nationaliste contre la France, de 1947 à 1948. Dakar, la capitale du Sénégal, est devenue l’épicentre du militantisme anticolonial, les syndicats devenant plus politiques, à l’image de la grève générale de 1946.
En réaction, des magazines français tels que Paris-Match et Bingo étaient proposés dans les centres culturels de l’Afrique occidentale française, dans le cadre d’un plan visant à diffuser la culture française pour servir de tremplin vers la modernité et vers une position sociale plus élevée pour les Africains.
Ce que l’on appelait « modernisation » dans les années 1950 est aujourd’hui rebaptisé « entreprenariat » par Macron. À titre d’exemple, on peut citer la création de « Digital Africa », une initiative mise en place par l’Agence française de développement pour aider les startups technologiques en Afrique francophone.
Vieille recette
La volonté du dirigeant français de s’aventurer au-delà de l’Afrique francophone ainsi que son recours à un intellectuel africain (Mbembe) pour vendre sa vision sont également une vieille recette.
En octobre 1955, Léopold Senghor – président du Sénégal de 1960 à 1980 – alors ministre chargé des Affaires culturelles internationales au sein du gouvernement français d’Edgar Faure, s’est rendu à Lagos au Nigeria, dans les années 1950. Le voyage de l’un des principaux intellectuels de la Négritude, un mouvement littéraire, devait servir à renouer les liens entre les cultures française et africaine.
Senghor considérait la Négritude comme un moyen de relancer la modernisation. L’enseignement du français, en particulier, était important parce qu’il facilitait l’étude des sciences et renforçait la mobilité sociale des classes inférieures. Celles-ci seraient en mesure, tout comme les élites, de se familiariser avec la France, qui était, selon la définition de Senghor, un lieu d’innovation et d’imagination.
En enseignant le français à un plus grand nombre d’Africains, d’autres classes sociales auraient accès à toute la science que la France pouvait offrir. Senghor avait, en effet, fait de la Négritude qui cherchait à réaffirmer les valeurs, l’art et la culture « noirs », en mettant l’accent sur la langue et la poésie franco-africaines, un instrument de développement. Comme Senghor, Mbembe a également été critiqué par des intellectuels africains.
À la fin des années 1950, les diplomates culturels français pensaient même avoir quelque chose de précieux à offrir et ils s’attendaient à un soutien diplomatique en échange de produits culturels. Il a alors fallu rénover des institutions telles que les universités, les centres culturels et les écoles de langues se trouvant dans des endroits comme Dakar et Accra. Les livres français devaient éveiller l’intérêt pour la langue française avec un accent particulier surles connaissances scientifiques, techniques et médicales.
En mettant en avant les services que la France pouvait offrir, le ministère français des Affaires étrangères souhaitait éviter de piétiner la fierté nationaliste africaine, qui était à son apogée à l’approche de 1960, l’année où 17 pays étaient devenus indépendants. Les efforts de Macron pour donner à l’Afrique des avantages tangibles – un crédit-relais pour le Soudan par exemple – rappellent cette époque.
Pourquoi le plan de Macron est voué à l’échec
Pourquoi Macron s’inspire-t-il d’anciennes stratégies ?
Il se peut que la réponse à cette question réside, en grande partie, dans le fait que les circonstances internationales actuelles sont très similaires à la décennie qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Soviétiques, les Américains, les Britanniques et d’autres nationalistes africains se sont lancés dans une compétition pour conquérir les cœurs et les esprits de l’Afrique francophone.
La croissance économique et l’influence politique croissante de l’Afrique depuis les années 2000 ont attiré des partenaires extérieurs désireux d’établir des relations avec ce continent. La Russie, la Chine, la Turquie, le Japon, l’Inde, le Royaume-Uni et la France ont tous tenu des sommets réguliers avec des États africains.
Une politique cynique de livraison d’armes et d’accords commerciaux serait tout simplement inefficace dans un tel environnement, où les Africains se sentent plus sûrs d’eux grâce aux avancées économiques de la dernière décennie. La stratégie culturelle de Macron, qui cible la société civile, semble donc logique.
Mais elle continuera d’être inefficace si elle n’admet pas que de nombreux membres de la société civile africaine n’apprécient pas l’ingérence française. En attestent, les interactions tendues lors des débats à Montpellier.
On peut douter, en conséquence, que le retour de la France à la stratégie de la diplomatie culturelle des années 1950 et 1960 donne des résultats très différents. Tant que des dirigeants comme Macron ne se rendront pas pleinement compte du dégoût ressenti pour les interventions françaises dans les affaires africaines, les relations Afrique-France ne s’amélioreront pas. Le recours aux produits culturels ou à la jeunesse africaine n’y fera rien.
Frank Gerits, Maître de conférences en histoire des relations internationales, Utrecht University, Pays-Bas, et Chercheur à l’Université de Bloemfontein, Afrique du Sud.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.