Ce dimanche soir, le président tunisien Kaïs Saïed a pris les pleins pouvoirs en suspendant les travaux du parlement et en limogeant son chef du gouvernement. Un coup d’Etat constitutionnel ?
Scènes de liesse dans les rues de Tunis et de ses environs. En plein couvre-feu, la population est sortie pour célébrer l’annonce du président de la République, Kaïs Saïed, qui a indiqué qu’il activait l’article 80 de la Constitution. Un article qui indique que, « en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle ». Le président profite du flou constitutionnel, marqué par l’absence de Cour constitutionnelle, pour activer l’article 80.
Ce dimanche soir, le chef de l’Etat a fait plusieurs annonces, lors d’une réunion d’urgence avec des dirigeants militaires. Il a dans un premier temps décidé de geler les travaux du Parlement — une dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple est impossible. Il a également annoncé la levée de l’immunité concernant tous les députés et assure qu’il fera en sorte que la justice s’occupe des députés empêtrés dans des affaires, en dirigeant lui-même le Ministère public. Il a, enfin, limogé son chef du gouvernement Hichem Mechichi. Autrement dit, Kaïd Saïed prend tous les pouvoirs en main : aussi bien l’exécutif que la justice. Dans un communiqué, la présidence précise que ces mesures sont applicables pendant trente jours.
Ennahda sous tension
Le président, en conflit avec son chef du gouvernement et avec le mouvement Ennahda, estime qu’il s’agit d’une série de décisions « que nécessite la situation afin de sauver la Tunisie, l’Etat et le peuple tunisien ». Selon Kaïs Saïed, « nous traversons des moments très délicats dans l’histoire de la Tunisie ». Il affirme qu’il « se chargera du pouvoir exécutif avec l’aide d’un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l’Etat ». Selon nos informations, la situation est électrique à Montplaisir, au siège d’Ennahda. Le mouvement islamiste, qui s’était réuni ce soir, dénonce un « coup d’Etat ». Les sièges du mouvement à Kébili et Béja auraient été pris d’assaut par les populations locales. Ennahdha a appelé le peuple à « restaurer la démocratie » par des moyens pacifiques.
En mai, un article de Middle East Eye indiquait que « les principaux conseillers de Kaïs Saïed ont exhorté le président tunisien à prendre le contrôle du pays au gouvernement ». Le magazine en ligne s’appuyait alors sur une note prétendument rédigée par les conseillers du président tunisien. Un « coup d’Etat constitutionnel » était envisagé, selon le jouraliste de MEE. Kaïs Saïed, après trois jours, avait fini par prendre la parole pour assurer que ni lui ni ses proches n’étaient « partisans d’un coup d’Etat, ni de ceux qui dérogent aux règles de la légitimité, mais nous sommes plutôt en faveur de la complémentarité entre les institutions ». Une réponse floue qui montre, aujourd’hui, que le président comptait bien prendre tous les pouvoirs à court terme.