Les députés tunisiens ont voté, cette semaine, la loi de relance économique et de régularisation des infractions de change. Un texte qui a tout prévu pour que la Tunisie redevienne un paradis fiscal.
« Nous avons pour objectif de permettre aux Tunisiens de détenir des comptes en devises en Tunisie ». Le 11 septembre 2017, Youssef Chahed, alors chef du gouvernement, fait devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) une annonce porteuse d’espoir. En effet, pour les Tunisiens résidant dans leur pays, il est illégal d’avoir un compte en devises étrangères, dans une banque tunisienne ou même à l’étranger. Depuis, Youssef Chahed est porté disparu. Quant à son projet d’autoriser les Tunisiens à ouvrir des comptes en devises, en trois ans et demi, il n’a pas réussi à le mettre en œuvre.
Depuis de nombreuses années, le sujet est pourtant une des priorités de la jeunesse tunisienne, qui ne peut accéder aux services de paiement en ligne internationaux et qui n’a l’autorisation, en cas de voyage et seulement dans ce cas, que de convertir l’équivalent de 1 800 euros au titre de l’allocation touristique. Une somme dérisoire qui doit notamment leur servir à payer leur hôtel et leur alimentation sur place.
Les comptes en devises désormais autorisés en Tunisie
Si ces derniers mois, il a surtout été question d’un potentiel accord entre le service de paiement en ligne PayPal et l’Etat tunisien, qui n’a finalement jamais abouti, les députés ont décidé de voter l’autorisation pour chaque Tunisien d’ouvrir un compte bancaire en devises. Dans le cadre de la loi de relance économique et de régularisation des infractions de change — qui n’a pas donné lieu à des débats, car introduite en dernière minute —, les élus ont adopté cet article qui autorise la détention d’un compte en devises ou en dinars convertibles « à condition de le financer par des sources licites et sans qu’il y ait un impact sur les réserves en devises de la Banque centrale de Tunisie (BCT) », résume Sofiène Weriemi, expert-comptable.
Une avancée qui pose cependant question. Tout d’abord parce qu’il est autorisé pour les résidents en Tunisie, depuis juin 2017, d’ouvrir un compte en devises pour y recevoir les rémunérations pour des prestations de service, les sommes versées au titre de pensions de retraite de source française ou encore les loyers. Les nouveaux comptes en devises ne pourront pas être alimentés par ce type de source, donc. D’où les fonds transférés pourront-ils provenir ? La loi reste très floue sur ce sujet, mais d’ores et déjà, l’Etat prévoit une contribution de 10 % sur les montants déposés sur ces comptes. Une contribution libératoire de tout impôt, taxe ou pénalité, qui ressemble fort à une amnistie fiscale pour quiconque ira déposer des euros ou des dollars sur son compte.
Un blanchiment autorisé par l’Etat
L’article 26 de la même loi est d’ailleurs plus clair concernant cette amnistie fiscale, puisqu’il indique que les Tunisiens en possession d’espèces ou de sommes déposées dans des comptes bancaires — en dinars cette fois —, sans en avoir déclaré la provenance, pourront également payer une contribution libératoire de 10 % pour, en résumé, faire rentrer leur argent dans le secteur formel. Ou comment offrir une solution aux personnes qui avaient des fonds à blanchir.
Trois ans après avoir fait des pieds et des mains pour se faire sortir de la liste noire des paradis fiscaux par l’Europe, et deux ans après avoir quitté la liste grise au terme d’un lobbying intense, Tunis a décidé de changer les règles. Il faut dire que l’Etat a un besoin urgent de fonds et que cette loi, votée par les députés, représente une aubaine autant pour le ministère des Finances que pour le secteur informel tunisien. Les trafiquants en tout genre n’en attendaient pas tant !