En Somalie, les élections tant attendues se préparent. L’ONU et l’Occident ont pris les choses en main pour tenter d’imposer Farmaajo, l’actuel président.
Le jeudi 27 mai 2021, le gouvernement somalien, en accord avec l’opposition lors du Forum national de consultation, annonçait la tenue des élections nationales « d’ici à 60 jours ». Pourtant déjà envisagées, celles-ci avaient été reportées à plusieurs reprises, ce qui avait provoqué une crise politique majeure en Somalie. La prolongation pour deux ans du mandat du président Mohamed Abdullahi Mohamed, en avril dernier, avait succédé à un vide constitutionnel, le mandat du chef de l’Etat ayant expiré deux mois plus tôt. Des affrontements, souvent violents, avaient alors eu lieu à Mogadiscio. L’annonce des autorités concernant des élections a donc été plutôt bien accueillie. Il restait cependant un point crucial à régler pour l’organisation de ce scrutin : en connaître les modalités.
Le 29 juin dernier étaient nommés les membres de la commission chargée des élections, le FEIT. Et des dates ont enfin été annoncées : c’est le 10 octobre que sera élu le nouveau président, lors d’un scrutin indirect, comme c’est le cas depuis 1969. En attendant, le 25 juillet prochain, aura lieu l’élection du Sénat, avant que, entre le 10 août et le 10 septembre, les élus de la Chambre basse et de la Chambre du peuple soient choisis. Les autorités ont promis d’augmenter le nombre de bureaux de vote et d’agrandir la liste de délégués qui participeront au scrutin par rapport à 2017.
Et si les élections doivent être, selon les organisateurs, plus inclusives, des doutes subsistent quant à leur crédibilité. Car le processus électoral sera directement contrôlé par les Nations unies. Depuis le 9 juillet, la mission de l’ONU en Somalie, l’Amisom, dirige les pourparlers entre les Organisations de la société civile (CSO) et le FEIT. Or, ni l’Etat, ni le FEIT, ni même les CSO n’ont demandé cette médiation onusienne. Rappelons aussi que tous les participants aux pourparlers sont des proches de l’Amisom. La future élection ressemble donc à s’y méprendre à un choix de l’ONU pour nommer son propre représentant en Somalie.
Les puissances étrangères tissent leur toile
Cependant, la Somalie avait besoin d’organiser ce scrutin après la grave crise que le pays vient de traverser. C’est d’ailleurs pour cette raison que le président Mohamed Abdullahi Mohamed, alias Farmaajo, a accepté de quitter le pouvoir avant de l’année. Proche des Etats-Unis — il détient la nationalité américaine —, Farmaajo a effectué un passage en force pour rester au pouvoir. Sa gestion des violences, notamment par les Shebabs, n’a pas vraiment marqué les esprits.
Ancien responsable de l’ONU, c’est le Premier ministre Mohamed Hussein Roble, proche, lui, de l’Union européenne — il ne s’en cache pas —, qui a mené les pourparlers, Farmaajo ayant décidé de prendre du recul. Dans la classe politique somalienne, on craignait alors qu’une ingérence étrangère en remplace une autre. Il semblerait toutefois que le camp de Farmaajo soit resté soudé. Et la Somalie, lorsqu’elle a décidé unilatéralement d’approfondir ses relations avec l’Ethiopie, s’est attirée les foudres des Américains, mais a gardé le cap.
La direction du FEIT, l’organe chargé de la mise en œuvre des élections, a finalement été nommée, lors d’un processus pour le moins opaque. Président de l’instance, Mohamed Hassan Irro est un proche du président Farmaajo. Le vice-président Mawlid Mataan est, lui, un ancien chef des opérations clandestines de l’Agence nationale des renseignements (NISA). La direction du FEIT a été élue par un organe, dont on ne sait pas comment il a été créé, dirigé par Fahd Yasin, leader de l’organisation Al-Itissam bil Kitaab wal Sunna et ami personnel du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS).
Entre les Nations unies, les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Arabie saoudite, le jeu des ingérences étrangères semble définitivement lancé. Et ce n’est pas l’opacité qui règne au sein du FEIT qui risque d’améliorer la situation. D’ores et déjà en Somalie, les observateurs craignent au pire des trucages lors des prochaines élections, au mieux des tentatives de manipulation.
L’ONU prépare le terrain pour Farmaajo
Depuis que Farmaajo a pris le pouvoir en 2017, le système politique somalien n’a cessé d’être chamboulé. Dernier rebondissement en date : le prolongement de son mandat de deux ans après un vide législatif, finalement annulé depuis. L’annonce des prochaines élections a provoqué un soulagement dans le pays, où personne ne semble cependant comprendre dans quelles conditions va se dérouler le scrutin.
D’ores et déjà, des irrégularités dans le système électoral sont dénoncées. Les observateurs s’étonnent par exemple que les lieux de vote soient imposés par l’Etat fédéral — les votants du Somaliland devront parcourir mille kilomètres pour faire leur choix. Mais le gouvernement de Mogadiscio ne contrôlant qu’une faible partie du territoire national, sous l’égide de l’Amisom, on comprend aisément ce choix. Ce qui étonne la population, c’est également le fait que le suffrage universel direct pour élire le président n’ait pas été envisagé. Ce sont les délégués régionaux qui éliront le président. Un reliquat de l’arrivée au pouvoir du dictateur Siad Barré, en 1969.
L’ONU semble en tout cas avoir mis la main sur le processus électoral : les bureaux de vote seront surveillés par l’armée et l’Amisom, et ce jusqu’au transport et au dépouillement des bulletins. Les observateurs nationaux devront, de leur côté, obtenir l’accord du FEIT. Les observateurs internationaux seront quant à eux demander l’autorisation de l’Amisom. Une mainmise qui semble ne pas inquiéter l’opposition, qui savent que tous les éléments sont réunis pour dérouler le tapis rouge à Farmaajo, qui sera vraisemblablement élu président. La seule inconnue, c’est l’armée. Celle-ci a montré, en avril dernier, qu’elle pouvait avoir un rôle à jouer. Reste à savoir si l’armée acceptera les conditions de l’ONU.