Alors que le président tunisien rêve d’un régime présidentiel, un « front du référendum » s’est lancé pour demander une consultation populaire sur le sujet.
En Tunisie, à défaut de coup d’Etat constitutionnel, le président Kaïs Saïed peut-il voir ses pouvoirs renforcés ? Le blocage et la crise politiques qui couvent depuis plusieurs mois pourraient en tout cas jouer en sa faveur. Et pour ce faire, le chef de l’Etat pourrait avoir l’appui du peuple, si ce dernier était appelé à donner son avis dans les urnes. Reste cependant un frein à un potentiel référendum : les députés, qui voient d’un mauvais œil la perte d’une partie de leurs prérogatives.
Tout part d’un nouveau « front du référendum », en Tunisie. Lancé par la coalition Soumoud et plusieurs représentants de la société civile, ce front a organisé lundi dernier une conférence de presse et livré ses objectifs, parmi lesquels celui de réclamer le changement du régime politique et de la loi électorale en vigueur.
Le « front du référendum », selon le coordinateur général de la coalition Soumoud, Houssem Hammi, demande l’organisation d’un référendum populaire en vue d’un changement de système politique en Tunisie. Le mouvement part d’un constat simple : « Le régime politique en place a prouvé son échec. La classe politique est incapable de se réformer de l’intérieur et la solution, le dernier mot doit revenir aux Tunisiens », estime la Coalition Soumoud, qui a donc réuni partis politiques, organisations — comme la Ligue tunisienne pour la citoyenneté ou la coordination Sit-in du Bardo— et personnalités nationales pour appuyer son initiative.
Pour qui roule la coalition Soumoud ?
Kaïs Saïed n’a jamais caché ses ambitions de modifier le régime actuel — parlementaire, depuis 1976 — en un régime présidentiel. De quoi contrarier certains de ses opposants, à l’instar de Rached Ghannouchi, patron du parti islamiste Ennahdha, qui réclame, lui, un « régime parlementaire total ». Devant un parterre d’invités, le président Saïed a, le 15 juin dernier, largement critique l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la Constitution.
Juriste de formation, Kaïs Saïed a fait avorter le dialogue national préconisé par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et préconise, de son côté, un simple « dialogue préparatoire à un autre dialogue ». Objectif : lancer une plateforme de consultation populaire et mettre en avant le concept de démocratie directe. Il n’aura finalement pas eu à lancer la plateforme, puisque le « front du référendum » lui sert sur un plateau cette démocratie directe.
D’autant que, si référendum il y a, celui-ci visera à adopter un régime présidentiel. Selon la coalition Soumoud, ce référendum symboliserait une sortie de crise. Plusieurs personnalités reconnues sur la scène politique ont apporté leur soutien au front : Saïd Aïdi, ex-ministre et fondateur du parti Bani Watani, ou encore Mohsen Marzouk ont en effet dit qu’ils désiraient faire partie de ce front, ou en tout cas le soutenir.
Le parlement, principal frein au référendum ?
Plusieurs problèmes risquent cependant de faire capoter le « front du référendum ». Le président de la République a totalement le droit de demander une consultation populaire. Mais la demande doit transiter par l’ARP. C’est là que le bât blesse : on imagine mal les députés accepter un référendum qui leur confèrerait moins de prérogatives si le peuple le décide. Or, pour que cette consultation populaire puisse avoir lieu, les deux-tiers de l’Assemblée doivent approuver la demande. Et réunir au moins 145 élus semble impossible.
A demi-mots, Hassouna Nasfi, le président du bloc parlementaire La Réforme, indique que seul un coup d’Etat constitutionnel permettra de changer de régime. Car, dit-il, « il est impossible de rassembler 145 ou même une majorité simple de 109 voix à l’ARP. Cela entrave tout, il n’y a pas de possibilité d’amender le code électoral ou le système politique en passant par l’Assemblée ». Et en cas de coup d’Etat institutionnel, plusieurs organisations internationales, comme l’Union africaine, ont déjà prévenu la Tunisie qu’elle risquait de lourdes sanctions.
Voilà un dilemme qui se présente face au président Kaïs Saïed, qui se verrait bien contourner la Constitution pour arriver à ses fins. Pour ce faire, Saïed pourrait s’appuyer sur le flou qui règne dans les textes. L’absence, par exemple, de Cour constitutionnelle est, dans ce cas précis, une aubaine pour lui. Les observateurs tunisiens estiment même que le référendum, ou en tout cas la gestion post-consultation, n’est pas vraiment envisagé par la Constitution. Autant dire que les contours du projet du « front du référendum » ne sont pas encore dessinés et que le blocage politique actuel risque bien d’avoir raison de cette nouvelle initiative.